Les pasteurs d’Alsace et de Moselle payés par l’État jouent « un rôle social ». Photo Jean-Marc Loos
L’Institut du droit local alsacien mosellan ainsi que l’unité mixte de recherche « droit religion entreprise société » de l’Université de Strasbourg ont organisé un séminaire d’étude après deux décisions de justice. La première portait sur l’affaire Baby Loup, la seconde sur le traitement des pasteurs en Alsace et Moselle. L’objectif était de connaître les enjeux de ces décisions et les implications tant pour le droit local que pour le droit général, grâce à des intervenants de l’Université de Strasbourg, des chercheurs du CNRS, des responsables d’Église ainsi que Laurent Touvet, conseiller d’État à la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques.
Rappelons que l’affaire Baby Loup portait sur le licenciement d’une employée d’une crèche associative pour cause de port du voile. Le 19 mars, la Cour de cassation a estimé que le principe de laïcité ne s’appliquait pas aux salariés des employeurs de droit privé et que le licenciement de cette salariée constituait « une discrimination en raison des convictions religieuses ».
« Beaucoup de personnes ont une vision extensive de la laïcité , explique Jean-Marie Woehrling, président de l’Institut du droit local. Une proposition de loi pourrait étendre les limitations de l’expression dans la fonction publique au domaine privé, mais ce ne serait pas concevable. Le droit communautaire, et notamment la Cour européenne des droits de l’homme, exclut ce genre de limitations. »
Le salariat des pasteurs, une dérogation
Le deuxième avis concernait celui du Conseil constitutionnel du 21 février sur le traitement des pasteurs dans les trois départements concordataires. Les Sages avaient déclaré que cette survivance du XIXe siècle était conforme à la Constitution. « Les diffé-rentes réflexions de ce séminaire, même s’il n’y a pas de conclusion toute faite, ont abouti à dire que la décision du Conseil constitutionnel était une dérogation au principe de laïcité, explique le président de l’Institut du droit local. Le salariat des pasteurs, mais aussi des autres ministres des cultes reconnus, catholique et juif, en Alsace et Moselle, ne peut être maintenu qu’à titre d’exception grâce à un accord tacite. »
Cela veut donc dire qu’il est exclu que cette spécificité alsacienne et mosellane soit étendue aux autres cultes non reconnus. Pour le conseiller d’État à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, « les cultes non reconnus ont plus d’avantages ici que dans d’autres régions où les collectivités ne donnent aucune subvention. Ici, ces dernières ont participé par exemple à la construction de la Grande mosquée de Strasbourg. Cela relativise les différences. »
Pourtant, une modernisation des textes est sur beaucoup de lèvres, tout en ayant à l’esprit qu’un plus grand éloignement par rapport au droit commun n’est pas envisageable. Les ministres des cultes soumis aux lois concordataires, à l’instar de ceux des cultes non reconnus, pourraient être payés non pas par l’État, mais par les collectivités publiques territoriales et les impôts d’Église. « L’évolution prendra beaucoup de temps » , estime Jean-Marie Woehrling.
« Ouvrir une brèche »
Après l’avis favorable du Conseil constitutionnel, un groupe de travail entre protestants, catholiques et juifs se met en place. « On nous a toutefois conseillé de ne pas chambouler tous les textes, au risque d’ouvrir une brèche dans laquelle les ‘‘laïcards’’ pourraient s’engouffrer » , admet Jean-François Collange, président de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine, qui reprend : « Nous, les Églises, tenons un rôle social au sein de notre région et les pasteurs ont une mission à investir. S’il fallait que les pasteurs ne soient plus salariés de l’État, beaucoup d’actions auprès des malades, des personnes âgées ou des personnes incarcérées ne pourraient être plus assurées. »
Pour aider à aller plus loin dans ces réflexions, Jean-Marie Woehrling, Pierre-Henri Prélot, professeur de droit public à l’Université de Cergy-Pontoise, et Francis Messner, responsable des questions de religion au CNRS à Strasbourg, ont édité un ouvrage, Traité de droit français des religions, paru en mars aux éditions Lexis-Nexis.