publié le 20/06/2013 à 07:53
Par son dynamisme et ses injonctions à la conversion, François a quelque chose du feu sacré des pasteurs évangéliques. Mais au-delà des saintes colères papales, les catholiques attendent une pédagogie sur l’art d’évangéliser.
Nous sommes au centième jour du pontificat. Comme chez d’autres commentateurs, experts et observateurs avisés, le bilan est de saison. Je choisis de le faire à travers une analogie entre le (plus si nouveau) pape et un pasteur évangéliste.
Evangéliste ou évangélique ? L’évangéliste est celui qui écrit un Evangile, et nous en connaissons quatre qui furent reconnus dans le canon des Ecritures. Mais, aussi, dans l’univers des Eglises évangéliques, l’évangéliste est un homme (plus rarement une femme) dont le charisme est d’annoncer Dieu, souvent sur le mode de la conversion et de l’interpellation prophétique.
François est éminemment évangélique. En vue d’une intervention, la semaine dernière, auprès des Amis de La Vie, à Nantes, j’ai relu nombre de discours, d’homélies officielles du pape, et aussi 63 résumés de ses homélies improvisées à Sainte Marthe. Travail instructif. Reviennent en boucle ses interpellations sur la pauvreté, la nécessité d’une conversion des coeurs. Sa présence tactile auprès des handicapés, des “petits”, sa disponibilité physique a conduit l’un de mes amis vaticanistes à le décrire ainsi : “Il est sans cesse en mode Jésus”. Le pape imite le Christ, et demande à ses frères pasteurs (évêques et prêtres) de prendre l’odeur de leur brebis plutôt que de s’enfermer dans leur bureau, ce qui les rend gestionnaires et pharisiens. C’est un pasteur, au sens étymologique du mot. Et qui est totalement évangélique.
François est aussi un vrai “évangéliste”. Particulièrement engagé sur le plan physique et relationnel (j’ai parlé d’un “hyperpape” dans un blog précédent), il me fait penser à ces prédicateurs qui ne tiennent pas en place. Sa vitalité fait plaisir à voir. Son mode d’intervention est celui de l’interpellation prophétique, comme ces prédicateurs évangéliques qui incitent sans cesse à la conversion. Dans l’immense majorité de ses interventions, François secoue le cocotier, tape du pied dans la fourmillière, dénonce les travers de ses ouailles, fustige les chrétiens “de salon”, dénoncent les paroissiens qui médisent, bavardent, et ceux qui ressemblent à des poivrons qui ont macéré dans du vinaigre, etc…. OK, vous avez raison, Saint Père, sur le fond des choses (voir mon blog sur le pape défibrillateur). Mais je sature… Par pitié ne tombez pas dans le catho-bashing. Le reste du monde passe déjà son temps à nous décrire comme réactionnaires, obscurantistes, homophobes… N’en jetez plus..!
Sans aucun doute, le pape a beaucoup appris de son expérience de jésuite et de pasteur en Amérique latine, où la montée en puissance des Eglises évangéliques n’a pu le laisser indifférent, dans la mesure où cette croissance s’est faite au détriment de l’influence catholique. Il a rencontré certains des ces évangélistes, et même noué des amitiés, comme il l’a déjà raconté. Son injonction mille fois répétées à aller vers “les périphéries existentielles” du monde est sans doute inspirée par son expérience argentine : une Eglise endormise sur ses lauriers et repliée sur son cadastre, face à la poussée de groupes extrêmement dynamiques dans l’annonce de la foi. D’où sa supplication : sortez, sortez, sortez ! On ne l’entendra jamais assez.
Mais mon expérience est que cette invitation pressante n’est pas suffisante. Les catholiques n’ont pas encore cet ADN du témoignage, et c’est à François, non seulement de nous engueuler, mais de nous aider à l’acquérir.
La culture kérygmatique (l’annonce transfrontières du message central de l’évangile) est encore embryonnaire, parce que les catholiques sont encore accaparés de façon obsessionnelle par leur culture catéchétique (la transmission transgénérationelle, des “vieux” vers les jeunes, qui ne marche d’ailleurs pas si bien que ça…). Le renouveau passera sans doute par une révolution copernicienne, lorsque les catholiques recevront leur foi – la catéchèse – dans le geste même de leur annonce dynamique à d’autres – l’évangélisation. Il n’y a en effet rien de tel qu’une petite séance d’évangélisation (notamment de rue, avec le tout-venant) pour comprendre à quel point nous connaissons mal notre Bible, le contenu de notre foi, et avoir envie de nous “coller” à ce labeur, d’autant plus urgent que nous avons pris conscience de nos limites. La croissance de l’Eglise se fera dans un aller et retour incessant entre annonce de la foi et approfondissement de la foi. En ce qui me concerne, j’attends du pape non seulement des électrochocs prophétiques mais aussi une méthode et une pédagogie pour accomplir cette révolution catholique.