On observe dans plusieurs églises dites de réveil à Goma, en République démocratique du Congo, une pratique se rapprochant de l’exorcisme. Elle consiste à malmener le corps de l’âme supposée être possédée par des esprits maléfiques. Et elle fait la fortune de certains pasteurs.
Par Thierry Kayandi, Goma
“Oui, j’ai été gravement tabassée dans cette chambre de prière que vous voyez en face. C’était pour faire partir de ma vie l’esprit de pauvreté. Mais depuis, rien n’a changé et je n’y suis plus allé”, témoigne une jeune diplômée au chômage depuis trois ans, en pointant du doigt une chambre de prière dans le quartier de Birere. Ici, ces chambres foisonnent. Les jeunes filles y vont pour demander à Dieu de les bénir avec un mari de leur choix, les garçons y prient pour trouver un emploi. Et il n’est pas rare qu’ils y reçoivent des coups.
Certains croyants sont à même le sol
La pratique qui consiste à faire partir les démons, la malédiction et la possession, en frappant les personnes supposées atteinte, est désignée par le verbe Kuchunda. Dans le quartier de Birere, tout le monde connait la chose, des plus jeunes aux plus vieux. Et les voisins de cette chambre de prière se lamentent du tapage que celle-ci occasionne, dans ce quartier qui compte à lui seul une dizaine de chambres de prières.
La grande porte ainsi que toutes les fenêtres de cette chambre de prière sont hermétiquement fermées, mais plus on s’approche du bâtiment, plus les bruits des tambours et les cris des croyants augmentent, tout ceci mêlé aux sifflements et aux hurlements du délivreur : le pasteur principal de cette église. Lorsqu’on ouvre la porte, ce sont des pleurs qui se font entendre. Certains croyants sont à même le sol, souffrant encore des coups qu’ils viennent de recevoir. Leur espoir est que leur vie sera changée dès la sortie du temple.
“La prière ne suffit pas”
Après une séance d’exorcisme qui a duré plus de deux heures, le “bishop”, comme ses croyants l’appellent affectueusement, explique l’importance de cette pratique dans son petit bureau. “Quand nous recevons des patients, il y a une force qui s’oppose à la nôtre, et la prière ne suffit pas, il faut l’intervention de la force physique car notre adversaire est agressif.”
Pour le pasteur, cette pratique ne peut avoir un sens qu’aux yeux de ceux qui sont inspirés. Selon lui, les yeux spirituels ne sont pas donnés à tout le monde. “Ce combat ne peut être visible que par ceux qui sont inspirés par le saint esprit comme nous.” Il appelle les adeptes de cette pratique ses “patients”.
Le corps pastoral ne vit que des donations de ces “patients”. À chaque séance, une longue phase d’offrandes est organisée par le diacre. Dans l’église que nous avons visitée, les offrandes se font aux enchères, les bénédictions dépandent du montant que l’on a mis dans le panier. Les offrandes vont de 500 francs congolais (0,5 dollars américains) à 45 000 francs (50 dollars américains).
Quand on donne beaucoup, on peut l’annoncer au micro et dire le montant que l’on verse à “l’œuvre de Dieu.” Certains prennent aussi le micro pour promettre des téléviseurs, des matelas ou des fers à repasser au pasteur et à ses acolytes.
“Chaque passage biblique utilisé en dehors de son contexte est un prétexte”
Certains pasteurs s’en sortent très bien. Ils roulent en carrosse et louent des maisons dans des quartiers résidentiels de la ville aux frais des fidèles. Une réussite remise en cause par Jean Baptiste Kasekwa, théologien et responsable des études bibliques à l’Université de Goma.
Pour lui, la pauvreté est à la base de l’expansion de la pratique Kuchunda. “Il n’est écrit nulle part dans la bible que Jésus-Christ aurait boxé des croyants pour les délivrer. Sachez que chaque passage biblique utilisé en dehors de son contexte est un prétexte. Ces rusés de pasteurs utilisent la bible pour promettre un avenir meilleur aux naïfs.”
La population congolaise est majoritairement jeune, ne jouit d’aucune politique d’encadrement moral et intellectuel de la part du gouvernement. Et l’église est devenue une entreprise commerciale et non un foyer de développement pour cette jeunesse qui ne sait plus à qui se fier.
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