D’Abidjan à Kinshasa, leurs Églises se comptent par dizaines de milliers. Promettant aux foules ce que les hommes d’État ne peuvent offrir, les pasteurs seraient-ils les nouveaux leaders du continent ?
La Jesus Connection a de beaux jours devant elle. Si l’on en croit les statistiques (approximatives) des spécialistes des religions, la communauté des chrétiens évangéliques et pentecôtistes au sud du Sahara talonne désormais celle des catholiques, après avoir largement vampirisé les effectifs du protestantisme, dont elle est issue. Avec une armée de fidèles estimée entre 120 et 150 millions d’âmes, cette mouvance acéphale conjuguant technologie numérique et exubérance émotionnelle, christianisme originel et Évangile de la prospérité est, avec l’islam, la forme religieuse la plus expansive en Afrique.
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D’Abidjan à Kinshasa, de Nairobi à Accra, de Libreville à Johannesburg, ce christianisme conquérant, missionnaire et mondialisé, qui ne connaît d’autre hiérarchie que celle de ses pasteurs et se décline sous des milliers d’appellations différentes (5 000 pour le seul Bénin !), prospère sur les terreaux fertiles de la crise des valeurs, du discrédit de la politique et de la quête du spirituel. Essentiellement urbaines, ces Églises qui prônent une religion à la fois physique et binaire (le bien contre le mal), reposant sur la révélation et l’engagement personnel, recrutent un public jeune, majoritairement féminin, appartenant à des catégories éduquées (étudiants, enseignants, cadres, fonctionnaires) et ayant une forte ambition de mobilité sociale, voire d’enrichissement individuel.
La popularité, proche du star-system, que rencontrent les pasteurs les plus connus (et cela quelle que soit leur formation religieuse, souvent sommaire) fait d’eux des clients courtisés et des conseillers écoutés des dirigeants et des chefs d’État. D’autant que les évangéliques, qui fonctionnent en réseaux et souvent en lobbies, sont présents dans les secteurs clés de l’administration et diffusent leur message transnational auprès des diasporas émigrées. Grands voyageurs, les pasteurs ont souvent un pied dans les banlieues des grandes capitales européennes, où leurs Églises prospèrent, et un autre dans leur pays d’origine, ce qui en fait des agents d’influence particulièrement efficaces.
De cette relation entre l’au-delà et la politique survient le meilleur comme le pire. Beaucoup de pasteurs évangéliques sont des hommes de bien, dont la parole redonne confiance, resserre le lien social et prône la vertu. Mais il en est d’autres pour qui la religion est une entreprise financière et dont le langage de combat flirte volontiers avec l’éthnonationalisme, la haine de l’étranger, voire l’incitation à la violence : de la Côte d’Ivoire à la RD Congo, les exemples récents de telles dérives sont nombreux. Le risque que représente ce type d’Églises pour les libertés est dans le fond identique à celui que véhicule toute formation religieuse exacerbée, de l’islamisme radical à l’hindouisme militant. L’investissement exigé de la part des fidèles est en effet total, intense, englobant tous les aspects de la vie en échange d’une part hypothétique de la puissance divine – notion dont l’écho est particulier en Afrique.
Sensible depuis la fin des années 1980, la déferlante évangélique est donc devenue l’objet de toutes les convoitises et de toutes les manipulations politiciennes. Au regard du caractère meurtrier qu’a souvent pris, dans le passé, l’interconnexion entre le religieux et la politique, il est permis de s’en inquiéter.