L’intégriste Kevin Swanson a accusé le film de Disney d’«encourager les enfants à l’homosexualité». Pour le maître de conférences Lauric Henneton, spécialiste de la religion aux États-Unis, il s’agit d’un discours fondamentaliste rebattu ayant une portée très limitée.
Le pasteur Kevin Swanson, à la tête d’une communauté religieuse intégriste aux États-Unis, a vivement attaqué le dessin animé La Reine des Neiges, l’accusant d’«encourager les enfants à l’homosexualité et à la zoophilie». Lauric Henneton, maître de conférences à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et auteur d’une Histoire religieuse des États-Unis (2012) explique au Figaro les raisons de cette attaque et de sa portée limitée.
LE FIGARO. – À quelle mouvance peut-on rattacher l’église «Reformation Church» dont se revendique le pasteur Kevin Swanson?
Lauric HENNETON. – Il s’agit d’une petite église, comme on en trouve beaucoup aux États-Unis. En regardant leur site internet, on constate que ce groupe défend des idées propres au fondamentalisme, comme le «home-schooling», le fait de garder les enfants à la maison pour contrôler leur éducation. La crainte d’une école qui pervertirait les enfants est un des éléments que partagent les fondamentalistes. On constate d’autre part un ancrage historique: la communauté se réclame des fondateurs puritains. L’idée de revenir à la pureté des origines, c’est l’essence même du fondamentalisme. Ce groupuscule a tous les attributs classiques de l’ultra-conservatisme.
Visiblement, ce groupe fait partie de l’Orthodox Presbyterian Church, une dissidence fondamentaliste du presbytérianisme «classique». On estime leur nombre à 30.000 aux États-Unis. Autrement dit pas grand-chose. La mouvance fondamentaliste dans son ensemble est difficile à quantifier. D’abord parce que cela dépend des groupes que l’on prend en considération, ensuite parce que le recensement se fait souvent par les groupes eux-mêmes. On peut les rapprocher des intégristes catholiques en France, bien que leur organisation soit très différente.
Pourquoi cette diatribe anti-Disney?
Lauric henneton est spécialiste des questions de religion aux États-Unis. Crédits photo : DR
Il s’agit d’un discours finalement très convenu parmi la mouvance fondamentaliste, particulièrement présente dans l’État du Colorado. Il est pour eux nécessaire de se couper du monde corrompu et pollué. Dans ce cas précis, il pousserait les enfants à devenir homosexuels ou même zoophiles. Le pasteur se défend de toute théorie du complot, mais il y a un peu de cela malgré tout. À partir d’un film, il étaye son attaque en affirmant que Disney a pris position pour l’homosexualité et en fait l’apologie, et que cela se retrouve dans tous ses films. La boucle est bouclée. Son attaque constitue en quelque sorte un délire personnel.
Le fait de comparer ainsi Disney au diable relève d’une tendance plus générale au boycott d’un certain nombre de marques qui se sont prononcées officiellement pour l’égalité des droits des homosexuels. Ce n’est pas le cas de Disney, mais les films comme La Reine des Neiges ou Rebellereposent sur l’image de la femme forte moderne. On n’est plus du tout dans les codes des années 1950 avec Cendrillon ou La Belle Au Bois Dormant.
Quelle portée peuvent avoir ces propos tenus sur une petite radio du Colorado?
Ce discours a peu de chances de convaincre en-dehors d’un cercle d’initiés. En soi, c’est vraiment un épiphénomène. Ce qui est intéressant, c’est la caisse de résonnance médiatique qui est donnée à ce petit pasteur sans importance. C’est une tendance que les fondamentalistes connaissent bien. Dans les années 1920, l’arrivée des radios a été une brèche dans laquelle ils se sont jetés. Un pasteur qui a son émission sur une petite chaîne de radio est quelque chose de très classique. Or, tout en les tournant en dérision, les médias donnent un écho à ces propos.
Autrement dit, si le message est archaïque, sa diffusion est extrêmement moderne. Néanmoins, cela n’a pas d’influence réelle, ou tout du moins une influence limitée. La seule incidence va être dans la prise en compte de ce public, plutôt convoîté. C’est ce qui s’est passé notamment avec Man of Steel, film dans lequel le parallèle christique est très fort. Un mini-site à destination des pasteurs évangéliques a été lancé pour accompagner le film et le promouvoir auprès de ce public. La religion devient alors un outil de propagande commerciale.