Matthias Griesshammer ne tend plus l’autre joue. Il s’indigne et “montre les crocs”, comme il dit. Sa paroisse de Hanovre perd 130 fidèles chaque année. Le pasteur leur a donc écrit une lettre en guise d’adieu : “Dieu ne rompt pas le contrat qui le relie à nous les Hommes, c’est pourtant ce que vous avez fait en quittant la communauté chrétienne. … Vous avez désormais plus d’argent sur votre compte en banque [en Allemagne, les croyants sont soumis à l’impôt religieux], mais voilà ce que vous n’aurez pas : un pasteur à votre enterrement.” Ces mots lui donnent mauvaise conscience, a pesté sans tarder Miguel Rodriguez, qui comptait parmi les ouailles du pasteur, dans une émission de radio.
Il faut dire que le ton de Griesshammer est pour le moins inhabituel. De l’Eglise nous attendons une posture d’humilité, même dans l’échec. C’est à Düsseldorf qu’ils sont le plus nombreux à quitter l’Eglise, et plus encore chez les protestants que chez les catholiques. L’Eglise a donc décidé de réagir avec une campagne d’affichage : “accordez-nous un mot”. Difficile de faire plus mendiant. L’Eglise ne gagnerait-elle pas plutôt à se rebeller contre tous ces maux qui l’assaillent ?
La foi à la carte
A croire que l’affaire Tebartz van Elst [évêque allemand relevé de sa charge pour avoir engagé des dépenses somptuaires dans la rénovation de son centre diocésain] a été le signal qu’attendaient de nombreux fidèles pour concrétiser leur retrait de la communauté. Le nombre d’apostats ne cesse en effet d’augmenter depuis le scandale de Limburg. Pour bon nombre de lutheriens, la faute en incombe probablement moins à l’émergence d’une véritable communauté œucuménique qu’au fait que l’Eglise est aujourd’hui considérée comme un service à la demande. Il est socialement acceptable de tourner le dos à sa communauté religieuse, et – généralement – sans conséquence. Quiconque souhaitant ensuite se présenter devant l’autel, faire baptiser ses enfants ou prier pour son salut après avoir été diagnostiqué d’une maladie incurable, pourra toujours revenir.
L’Eglise protestante n’en fait pas une montagne : “Vous souhaitez réintégrer la communauté après un temps d’absence ou suite à une nouvelle expérience ? Pas de problème !” affirme le site internet evangelisch.de. La foi à la demande. Pas besoin d’avoir la foi du charbonnier pour être un membre légitime de l’Eglise. Tout bon pasteur est lui-même souvent hanté par le doute sur l’existence de Dieu, sur sa miséricorde et sur sa toute-puissance. Qui d’ailleurs n’en douterait pas en voyant ce qui se passe dans la rue ou au journal du soir ?
Il est aussi important pour l’Eglise que les gens se comportent comme des “chrétiens de culture”, ainsi que le revendiquait Thomas Mann, et qu’ils fassent vivre les valeurs et les rituels chrétiens. Les 4,7 milliards d’euros qu’a rapportés l’impôt religieux à l’Eglise protestante l’année dernière ont essentiellement bénéficié aux œuvres paroissiales et de jeunesse ainsi qu’aux garderies.
Une communauté qui doute
L’Eglise rassemble un grand nombre de gens. Essentiellement des gens qui doutent. Elle accueille ceux qui ne sont pas sûrs de croire. Dans ses moments de pire détresse, Martin Luther lui-même, “quand il ne pouvait plus croire en rien, s’est accroché à un simple bout de papier disant : je suis baptisé”, écrit Jan von Lingen dans son livre Noch eine Frage, Herr Pfarrer [Encore une question, Monsieur le pasteur].
Et pourtant, cette absence de foi absolue ou de pensée rationnelle scientifique ne suffit pas expliquer pourquoi les Allemands rechignent de plus en plus à payer l’impôt religieux.
Il était une fois une petite fille, dont les parents étaient morts et qui était si pauvre qu’elle n’avait plus de toit où s’abriter et plus de lit où se reposer. Elle n’avait en tout et pour tout que les vêtements qu’elle portait sur son dos et un morceau de pain qu’une âme charitable lui avait mis dans la main. Elle était néanmoins bonne et pieuse, car se sachant abandonnée du reste du monde, elle allait dans la foi du Dieu miséricordieux.
La foi mal vue
Tout le monde connaît la suite de ce conte [Une pluie d’étoiles, des frères Grimm].
L’enfant donne tout ce qu’elle possède jusqu’à ce qu’une pluie d’étoiles se déverse sur elle avant de se transformer en pièces d’or. Ce n’est pas parce qu’elle est charitable et donne ses vêtements que la petite fille du conte nous fascine. C’est parce qu’elle ne doute pas. Parce qu’elle n’hésite pas. C’est précisément ce que signifie le mot “pieux”, aujourd’hui peu usité. Il est devenu rare de se sentir sûr de soi et en sécurité. On nous a appris à douter et à tout remettre en question. Le monde moderne et démocratique dans lequel nous vivons ne serait pas possible sans cela. Et c’est pour cela que la foi offre à ceux qui en ont besoin, un instant de répit.
Il n’est pas possible de prévoir quand nous aurons besoin de ce moment de répit. Mais la réaction du pasteur Griesshammer montre bien que nombreux sont ceux qui, face à la mort, retrouvent la foi et cherchent des réponses dans la religion.
Nul doute que le pasteur Griesshammer connaît le conte Une pluie d’étoiles. Lui à qui il n’est plus rien resté, lui que ses ouailles ont abandonné. Jusqu’à ce que la pluie d’or tombe du ciel. Ca n’existe que dans les contes, se dit-il peut-être.