Henry Mottu
Henry Mottu, théologien protestant, raconte les heures sombres de la Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation en Haute-Savoie, où prêtres et pasteurs collaborèrent pour secourir leurs prochains
On connaît l’histoire des passages clandestins à travers la frontière suisse. Mais ne devrait-on pas plutôt parler de chemins de passages, d’échanges, de solidarité? Il y eut beaucoup plus de connivences, au travers même des barbelés, que de barrières étanches. Et beaucoup plus d’ecclésiastiques catholiques qu’on ne l’a dit, prêts à prendre tous les risques pour sauver les juifs pourchassés: les Pères Rosay de Douvaine, Jolivet à Collonges, Louis Favre du Juvénat de Ville-la-Grand, torturé et fusillé près d’Annecy, Gaston Desclouds à Thônex, et d’autres.
L’historienne Corinne Bonafoux a compté 21 curés de Haute-Savoie, dont une femme, qui ont reçu la médaille des Justes parmi les nations. Sans parler des pasteurs Roland de Pury à Lyon, Paul Chapal à Annecy, Jeanne Bach, femme du pasteur, à Annemasse, Charles Westphal à Grenoble, pour ne citer que quelques noms.
Les spécialistes ont pu retrouver les filières d’évasion, anciennes ou nouvelles, allant des camps d’internement du sud de la France à Genève et la Suisse, en passant par le Chambon-sur-Lignon, grâce à l’action du pasteur André Trocmé et de sa femme Magda. Genève, terre d’asile!
En ces temps de résistance spirituelle, on vit pendant cette guerre se renforcer un œcuménisme de l’action. On ne sait pas assez, dans le public, que le mouvement œcuménique moderne est parti en fait de l’esprit de solidarité né entre prêtres et pasteurs durant la guerre, dans le but de secourir autrui. Tandis que le pasteur Visser’t Hooft à Genève servait de plaque tournante avec le «Conseil œcuménique en formation», Roland de Pury et le Père Chaillet fondaient ensemble, en novembre 1941, les Cahiers du témoignage chrétien . Or, cette revue clandestine devait d’abord s’appeler Témoignage catholique ; l’on changea de titre au dernier moment! De grandes voix se firent entendre durant ces années de guerre.
Ainsi l’abbé Journet, «l’inspirateur de la résistance spirituelle en Suisse romande», selon Renata Latala, doctorante à Fribourg, s’élevait à la fin de 1939 déjà, dans sa revue Nova et Vetera , contre une «neutralité» morale face à l’injustice: «Suivant le droit chrétien, nulle nation ne saurait se constituer en monde clos, ni exister pour elle seule. Chaque nation, grande ou petite, doit être ouverte sur le monde; elle doit collaborer avec les autres.» Karl Barth, pour sa part, fustigeait, dans une conférence de l’été 1941, la censure, la collaboration économique avec l’Allemagne, le refoulement des juifs et opposants politiques: «Au nom de Dieu tout puissant. Parce que ces mots se trouvent dans la Constitution, nous posons la question: quelle est la portée de la manière dont nous traitons les étrangers qui se trouvent sur notre territoire? […] Aux XVIIIe et XIXe siècles, la politique suisse relative aux émigrés était généreuse et prévoyante. Même en tenant compte des difficultés actuelles, on ne saurait nommer notre politique ni généreuse, ni prévoyante sur ce point. Que voulons-nous? Céder ou résister?»