Dans la douceur printanière du Texas, une longue procession de musulmans et chrétiens, unis sous la même bannière de la lutte contre l’islamophobie, a cheminé samedi dernier dans Dallas, tout au long d’une journée placée sous le signe du rejet de la haine et de la concorde religieuse et sociale.
Si la perception négative du « musulman fantasmé » est désormais enracinée dans l’inconscient collectif, le racisme anti-musulmans et son lot de violences, verbales et physiques, sont tout sauf un fantasme, mais au contraire une réalité tristement ancrée dans le quotidien de la communauté musulmane texane. Une réalité qui, aussi alarmante soit-elle, n’est pas inéluctable pour l’influente association des relations américano-islamiques CAIR, à l’image des 80 jeunes militants de son antenne de Dallas Fort Worth qui ont créé l’événement en organisant une grande marche de sensibilisation.
Yvonne Munoz, une avocate élevée dans la foi catholique avant d’embrasser l’islam à l’âge adulte en 2008, n’aurait pour rien au monde laissé sa place dans ce cortège multicolore de la diversité, qui a défilé en brandissant haut l’étendard national sous un seul cri de ralliement : « Stop à l’islamophobie ! ». “Je traite des plaintes pour islamophobie tout le temps, et je peux témoigner de leur recrudescence très inquiétante. Sur un plan personnel, l’islam a apporté la paix dans ma vie, et sans cette paix-là, je n’aurais jamais pu mener les combats que je mène aujourd’hui”, a-t-elle déclaré, alors qu’une première halte au beau milieu d’un jardin public faisait la part belle aux témoignages des nombreuses victimes du sentiment anti-musulmans prégnant, dans des haut-parleurs qui leur ont offert une caisse de résonance inédite.
Parmi les orateurs, l’intervention de l’activiste Nicole Reine a particulièrement marqué les esprits, le récit de ses mésaventures détestables survenues après avoir dévoilé sa conversion à l’islam à son entourage, relationnel et professionnel, ne laissant personne indifférent. Du lard déposé à plusieurs reprises dans son verre par des collègues narquois qui en ont fait rapidement leur tête de turc, à des quolibets blessants, en passant par des insultes racistes, la jeune femme a assuré devant un auditoire toute ouïe que “rien de tel ne s’était produit avant qu’elle ne réponde à l’appel de l’islam.”
Heureux de compter dans ses rangs de hauts dignitaires d’autres communautés religieuses, dont notamment Wes Magruder, le pasteur principal de l’Eglise méthodiste de Dallas, Alia Salem, directeur du CAIR local, s’est félicité du succès de cette première grande marche contre l’islamophobie : “Notre objectif est double : nous voulons promouvoir l’activisme dans notre jeunesse, et fédérer le plus grand nombre autour de ce mal absolu qu’est l’islamophobie. Aujourd’hui, le résultat me comble de bonheur et me conforte dans le bien-fondé de ces deux démarches menées de front.”
Pour le pasteur Wes Magruder, marcher aux côtés de la communauté musulmane fut une expérience unique, riche en rencontres mais aussi éprouvante par ce qu’elle lui a révélé de la brutalité d’un ostracisme et d’une stigmatisation permanents. “Je ne m’attendais pas à ce que j’ai entendu ou ce que j’ai vu. J’ai entendu et j’ai vu la réalité de nos frères et sœurs musulmans, les violences subies. Cela m’a fait peur. J’ai entendu les musulmans décrits comme “troisième homme de Néandertal”, ou comme la “cinquième colonne verte à la conquête du monde”, s’est-il exclamé, avant de s’indigner devant l’opprobre jeté par certains pasteurs : “Des pasteurs chrétiens disent que les pasteurs qui ont participé à cette marche sont indignes de leur sacerdoce, que nous sommes des ennemis et une honte pour l’église.”
Prêt à reprendre demain son bâton de pèlerin pour marcher contre un fléau dont il subit à son tour la haine implacable, le pasteur Wes Magruder s’est aussi engagé à battre la campagne pour prêcher la bonne parole qui résonne des mêmes invocations que ses frères et sœurs en Dieu musulmans.