Claude Ruey le libéral et Claude Schwab le socialiste sont deux personnalités vaudoises engagées dans leur Eglise et dans la politique. Ils expliquent comment il est possible de partager des principes communs tout en bataillant dans des camps opposés
«La politique ne change pas l’homme»
Claude Ruey, 64 ans, ancien conseiller national et conseiller d’Etat, libéral
On ne vient pas à la politique par hasard. Claude Ruey en est un exemple. «Je viens d’une famille engagée sur le plan politique et social, raconte-t-il. Depuis tout jeune, j’ai fait du scoutisme et j’ai mené un engagement social. Encore aujourd’hui. Un mot d’ordre de mon enfance était l’engagement chrétien de servir.» Pour lui, les deux engagements vont de pair. «S’engager dans son Eglise, c’est bien. Mais il y a plusieurs vocations. Sortir de l’Eglise pour être dans le monde, c’est nécessaire. C’est contribuer à la construction du Royaume, sans penser que nous allons le construire par la politique. C’est à la fois ambitieux et modeste.» Celui qui a présidé le Parti libéral rapproche volontiers les valeurs protestantes de celles de sa famille politique. Il rappelle le lien étroit qui existait naguère entre le Parti libéral et l’Eglise libre: «Comme protestants, notre lien à Dieu est sans intermédiaire. L’accent sur la liberté et la responsabilité individuelle est plus marqué. Comme libéral, je mets ces valeurs en avant. Mais cela ne va pas sans le respect des personnes, la recherche de la vérité, l’amour des autres et une certaine humilité. Il y a un certain nombre de valeurs que nous pouvons partager.» Une leçon que la référence au Tout-Puissant qui figure en tête de notre Constitution rappelle aux politiciens. «C’est un signe de modestie du pouvoir politique. Nos autorités reconnaissent une puissance, autre que celle du peuple. Nous n’avons pas le pouvoir absolu. Je concède qu’il y a plus grand que moi et que je ne décide pas tout. Pour moi, cela se justifie en tout temps. Dans le même ordre d’idée, la Constituante vaudoise a montré une attitude positive à l’égard de la religion. Elle a reconnu la dimension spirituelle de la personne. Cela implique qu’il faut soutenir son service, au même titre que la culture, mais sans mettre le grappin dessus.» Pour Claude Ruey, la grande différence entre religion et politique tient au fait que la politique ne change pas l’homme, alors que la parole de Dieu peut y réussir. «La conversion ne change pas votre nature profonde, mais elle vous transforme, oui. La politique et les règles de l’Etat sont une contrainte. Le magistrat tient l’épée. Mais la prison ne va pas transformer un brigand en un ange. En revanche si, grâce à la puissance publique, la société vit avec un minimum de paix, vous pouvez y enseigner et y prêcher.»
«Un monde de relations, et de relativité»
Claude Schwab, 71 ans, pasteur retraité, député socialiste au Grand Conseil
Un pasteur retraité, député socialiste au Grand Conseil, est bien placé pour parler des liens entre protestantisme et politique. «Ma foi a compté dans mon choix de m’engager en politique, se souvient Claude Schwab. Je n’ai pas adhéré à un parti quand j’étais pasteur de paroisse. J’ai été élu à la Constituante, une assemblée qui comptait sept pasteurs parmi ses 180 membres. Cela a été un bon exercice. Il fallait résoudre des problèmes hors des frontières partisanes. Ensuite, mon engagement politique a été cohérent avec mes valeurs et ma réflexion théologique sur la société.» Claude Schwab ne voit pas de frontière entre ses deux engagements. «La continuité me semble évidente. J’ai conçu mon pastorat comme un service à la communauté. Il était motivé par l’amour du prochain en lien avec l’amour de Dieu. Pasteur de paroisse est une forme d’engagement pour la cité. Le pasteur doit arriver à discuter et à interpeler le politique par rapport aux questions sociales et personnelles des gens. Comme pasteur, j’ai toujours estimé être au service de tous, pas seulement des fidèles. Mon souci est celui exprimé par Zwingli: le ministre et le magistrat doivent collaborer pour le bien de la société.» Le député relève qu’il a toujours existé une composante chrétienne dans le Parti socialiste en Suisse romande. Tout comme une tendance laïque, voire anticléricale. «Il y a une tension entre les deux.» La Bible nous inviterait-elle à déléguer la solidarité à l’Etat? «Il ne faut pas invoquer la Bible sur ces questions, répond Claude Schwab. L’Etat d’aujourd’hui n’a rien à voir avec les pouvoirs politiques de l’Antiquité. L’Etat est un moyen de répartir les richesses, il peut rétablir l’égalité des chances, c’est important. La valeur d’une société se mesure à la situation des plus faibles.» La liberté de chacun devant Dieu compte aussi. «Le socialisme ne doit pas supprimer la personne individuelle, affirme le pasteur politicien. «La tension entre la conscience individuelle et la participation à un mouvement politique ou spirituel, entre l’individu et la communauté, fait la richesse d’un engagement.» Le partage complet des richesses pratiqué par les premiers chrétiens le laisse sceptique. «L’idéal de perfection est la perversion de l’Evangile, rappelle-t-il. L’histoire a montré que toutes les tentatives d’absolutiser sur terre ses préceptes ont abouti à des échecs, voire des totalitarismes. Seul Dieu est absolu.»
// V.Vt
- Une rencontre: samedi 13 septembre, de 9 h 30 à 12 h. Crêt-Bérard, Puidoux. Claude Ruey et Claude Schwab débattront sur le thème «Protestantisme et politique», à l’invitation du Parti évangélique (PEV). Inscription avant le 5 septembre, Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. A 12 h 30, repas facultatif, 26 fr.