Le tribunal de Dorokha, du district de Samtse, situé à la frontière indo-bhoutanaise dans l’extrême sud du pays, a condamné le 10 septembre dernier, à près de quatre ans de prison ferme le Rév. Tandin (Tendin) Wangyal (Yangwal) 30 ans, marié et père de trois garçons de 2, 5 et 8 ans.
Le pasteur protestant a été accusé d’avoir reçu « des aides financières de la part d’organisations chrétiennes étrangères », soit 11 864 dollars devant servir à « dispenser des formations et propager le christianisme », rapporte encore le Morning Star News, une agence protestante basée aux Etats Unis qui a révélé l’affaire il y a quelques jours.
Un autre chrétien, le Rév. Mon. B Thapa (connu sous le nom de Lobzang), 56 ans, a été condamné quant à lui à deux ans et quatre mois d’emprisonnement avec sursis, pour avoir été complice du Rév. Wangyal dans l’organisation d’une « réunion sans autorisation».
Si le Bhoutan a inscrit la liberté religieuse dans sa Constitution, promulguée en 2008, tout prosélytisme « venant d’une religion étrangère » est formellement interdit dans le pays, dont la religion d’Etat est le bouddhisme vajrayana.
Les chrétiens considérés par la population comme « l’avant-garde de l’Occident », sont perçus comme une menace pour « l’identité nationale bhoutanaise », laquelle ne fait qu’un avec le bouddhisme. Un Bhoutanais qui se convertit au christianisme court le risque de perdre sa citoyenneté.
Le prosélytisme, la publication de bibles, la construction d’églises, d’écoles ou d’autres institutions chrétiennes sont prohibés. L’entrée des missionnaires sur le territoire est interdite et le culte chrétien doit être pratiqué au sein de la sphère privée. Les chrétiens n’ont pas non plus le droit d’avoir des cimetières pour inhumer leurs morts, ce qui conduit à des troubles interreligieux récurrents.
Les deux hommes avaient été arrêtés le 5 mars dernier, alors qu’ils conduisaient un enfant malade à un hôpital de village. Ils étaient arrivés la veille, le 4 mars, pour préparer un séminaire de trois jours qui devait se tenir à la demande d’une trentaine de chrétiens des environs, dans le village de Khapdani, (district de Samtse). Les deux hommes avaient détaillé leur programme dans la soirée du 4 mars, lors de la cérémonie de la pose de la première pierre d’une maison de l’un des chrétiens du village. Lors de cette session de trois jours, il était prévu également de diffuser un film. Lorsque les deux chrétiens ont été arrêtés sur le chemin de l’hôpital, la police a confisqué l’ordinateur portable, le téléphone mobile et le projecteur de cinéma du Rév. Wangyal.
Les deux hommes ont été immédiatement emprisonnés pour avoir voulu « organiser un rassemblement religieux sans autorisation préalable », prévu de « diffuser un film sans le certificat d’approbation officiel du ministère agréé » et avoir « collecté illégalement des fonds ».
Avant d’être libérés sous caution le 22 Avril, les deux pasteurs avaient été détenus 49 jours sans aucune inculpation officielle. Lors des trois audiences du procès qui avaient suivi, les deux chrétiens avaient soumis à la cour leur défense écrite. A chaque audience, les chefs d’accusation étaient reformulés, passant du « prosélytisme religieux » à la collecte de fonds « pour usage personnel », ou « sans permission officielle ».
A l’issue de la troisième et dernière audience le 22 mai, le Rév. Thapa avait vu ses charges atténuées, avant d’apprendre cette semaine, qu’il pouvait bénéficier de la liberté sous caution, contre le paiement d’ une amende de 1 670 dollars.
Tandin Wangyal, quant à lui, a été condamné à la prison ferme pour infraction à l’article 71 du code pénal (1) qui interdit la collecte de fonds pour des activités « violant les lois du pays » et exercées sans l’autorisation préalable des autorités. Le pasteur continue de nier toutes les accusations qui lui ont été faites, affirmant que le dossier « a été monté de toutes pièces, à partir d’anciennes archives trouvées sur son portable ». Il aurait néanmoins, rapporte le Morning Star News le 16 septembre, eu la possibilité de faire diminuer sa peine de prison d’un an en payant une caution de 763 dollars.
Le chrétien protestant a dix jours pour faire appel devant le tribunal du district de Samtse. « La police m’emmène en détention », a-t-il eu seulement le temps d’envoyer par texto le 10 septembre à ses proches, précisant « qu’il ne serait plus en mesure de communiquer après ce message ».
L’affaire est discutée au plus haut niveau de l’Etat. Le ministre de l’Intérieur et des Affaires culturelles, Damcho Dorji a justifié les arrestations des deux chrétiens en conférence de presse en affirmant qu’ils avaient tenté de « pratiquer des conversions forcées ».
« Nous n’avons trouvé aucune preuves de conversions forcées », a reconnu cependant peu après auprès le commissaire Pema Wangdi, suite aux interrogatoires très poussés des trente chrétiens qui devaient participer à la session. Mais, a précisé l’officier de police, si l’accusation de prosélytisme est tombée, celle concernant la tenue d’une réunion sans autorisation est maintenue, et forme désormais la charge principale requise contre les accusés.
« Les deux chrétiens n’avaient pas obtenu d’autorisation des autorités locales », a ensuite argué auprès du Business Bhutan, Damcho Dorji, se défendant d’avoir pénalisé les pasteurs protestants pour des raisons religieuses. « [Ne pas demander d’autorisation préalable] est un crime au regard de notre code pénal … Si vous le violez, le fait que vous soyez bouddhiste, hindou ou chrétien ne change rien ». Une affirmation à laquelle ne souscrit pas le Rév. Wangya : « En réalité, malgré ce qu’affirme le ministre, depuis le premier jour de mon arrestation, tout n’a fait que tourner autour de la religion ».
Au dernier examen périodique universel du Bhoutan devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, plusieurs pays dont les États-Unis, ont exhorté le Bhoutan à garantir la liberté religieuse en autorisant toutes les communautés à pratiquer librement leur foi et en leur permettant d’accéder à une reconnaissance légale. L’ONG Alliance Defending Freedom (ADF) a souligné quant à elle que le Bhoutan avait promulgué plusieurs lois restreignant les droits fondamentaux des citoyens, dont la liberté d’association et la liberté de religion. Le Bhoutan est par ailleurs sur la liste noire des pays persécutant les chrétiens selon l’ONG protestante Open Doors.
Selon les statistiques officielles (recensement de 2005), 75 % des 700 000 Bhoutanais sont bouddhistes, 22 % hindous – la plupart d’origine népalaise –, le reste de la population se partageant entre chrétiens et autres confessions. Des sources locales, essentiellement protestantes, annoncent un nombre d’environ 20 000 chrétiens, parmi lesquels se trouveraient quelques centaines de catholiques. Des chiffres difficiles à vérifier, les Eglises chrétiennes au Bhoutan étant essentiellement « souterraines » et non déclarées.
(eda/msb)