Le premier tour de l’élection présidentielle au Brésil qui aura lieu ce dimanche s’annonce plus qu’incertain. En tête d’affiche, la candidate sortante Dilma Rousseff a bien du mal à refroidir l’entrain et l’enthousiasme de Marina Silva (dont nous avions écrit le portrait), qui, au pied levé, a remplacé en tant que candidate du parti socialiste Eduardo Campos décédé au mois d’aout.
La présidente actuelle pourra-t-elle dès lors éviter un second tour ? La réponse va sans doute se décider auprès des électeurs évangéliques. Comme le signalait The Guardian cette semaine, ces derniers deviennent une force politique incontournable.
Si le pays reste un des pays les plus catholiques au monde, voici plusieurs années maintenant que les Eglises pentecôtistes et évangéliques rassemblent de plus en plus de fidèles (de 5% en 1970 les croyants de ces Eglises représentent désormais 22% de la population et pourraient devenir majoritaires d’ici cinquante ans). Ces Eglises, explique le quotidien anglais qui donne ces chiffres, ressemblent à des « champs de bataille » politiques au sein desquels « les pasteurs du pays espèrent jouer un rôle influent et définir un modèle pour les années à venir ».
Dilma Rousseff, pourtant marxiste dans sa jeunesse, a donc fait des apparitions dans ces lieux de cultes, allant même jusqu’à citer des psaumes. Mais c’est aussi en dehors des temples que tout se joue. Le monde médiatique attire de plus en plus les pasteurs qui détiennent des radios et des chaines télé, alors que les politiciens évangéliques occupent de plus en plus de sièges à la chambre basse et au congrès.
Une « république théocratique »
Pour la première fois, signale au Guardian Pedro Strozenberg, chercheur à l’Institut d’études religieuses à Rio de Janeiro, le ton du débat politique est en grande partie dicté par les évangéliques. Jean Wyllis, premier membre du congrès ouvertement gay s’est même plaint que son pays devienne une démocratie théocratique sous l’influence du mouvement évangélique. Ces derniers se félicitent d’ailleurs que l’histoire soit de leur côté.
Marina Silva, qui a axé sa campagne sur le développement durable, garde elle aussi une identité « religieuse » importante, qui se traduit par des choix personnels contre l’avortement ou le mariage homosexuel. D’importantes Eglises ont d’ailleurs affirmé soutenir sa candidature. Car si la campagne « en chaire » est interdite au Brésil, beaucoup de pasteurs ont trouvé des médias pour affirmer leurs choix.
Un pays « hypocrite » ?
Le journal Libération analyse lui l’importance de la place de la religion comme le ferment d’une hypocrisie qui traverserait la politique du pays. « Actuellement, l’interruption volontaire de grossesse n’est autorisée qu’en cas de viol, de danger pour la mère ou d’anencéphalie du fœtus » mais, face à l’importance des lobbys religieux, il semble impensable que les autorités se risquent à changer la loi, explique le journal.
« Le Brésil est un pays paradoxal, voire hypocrite, à la fois libéré et conservateur », observe pour Libération le sociologue Rudá Ricci. Selon lui, le recul de la pauvreté, fortement stigmatisée, a entraîné un « effroyable repli réactionnaire » ces dernières années. « Ici, les pauvres sont accusés d’avorter, de quitter leur femme et de se droguer, explique-t-il. Du coup, avec l’amélioration de leurs conditions de vie, ces derniers se sont ralliés à des valeurs conservatrices comme pour expier le passé. C’est une façon de dire : je ne suis plus pauvre, je ne suis plus un pécheur. »
« Pour ce spécialiste, la gauche, au pouvoir depuis onze ans, n’a pas été capable de faire évoluer les mentalités. “Lula a préféré éviter les thèmes qui risquaient de lui faire perdre des voix ou de mettre en péril ses alliances avec la droite et les Eglises évangéliques, reprend Ricci. Dilma a été un peu moins frileuse.” Mais ses timides tentatives se sont heurtées à l’opposition farouche des lobbys religieux, et notamment du puissant bloc parlementaire évangélique, qui contrôle 15% des sièges. »