La Croix : Quel est l’enjeu de cette Rencontre européenne de Taizé pour les chrétiens de République Tchèque ?
Daniel Fajfr : Nous espérons que cette rencontre aura un impact sur la vie des gens, non seulement pour ceux qui sont déjà impliqués dans les Églises, mais aussi pour ceux qui sont loin de la foi et qui pourraient être touchés par cet événement au travers de la presse. Seuls 24 % des habitants du pays disent avoir une religion. On se souvient que la précédente rencontre, ici, en 1990 avait eu un impact. Goutte à goutte, il peut y avoir un effet. La période est même presque plus propice qu’elle aurait pu l’être il y a 10 ans. Confrontés à beaucoup de problèmes sociaux et économiques, les Tchèques sont à la recherche de quelque chose de plus profond, de plus transcendant que la simple consommation de biens matériels. Après des années de capitalisme très dur, où les écarts entre riches et pauvres se sont accrus, beaucoup comprennent que l’argent ne fait pas tout. Il y a là un vrai défi pour les Églises !
En proposant un large éventail de spiritualité, dans l’œcuménisme, la Rencontre de Taizé peut répondre à cette attente.
> Voir Frère Aloïs : « Il était nécessaire pour Taizé de revenir en Europe centrale »
Quelle est la réalité de l’œcuménisme dans le pays ?
D.F : Il y a de belles relations entre les catholiques et les protestants, car pendant la période communiste, nous subissions le même joug. Catholiques et protestants se sont retrouvés dans les mêmes prisons, priaient ensemble et se soutenaient.
Certes, par le passé, il y a eu des drames, notamment avec le massacre de Bilà Hora, en 1620, sous les Habsbourg (1) . Mais je pense qu’aujourd’hui, tout cela est pardonné. En novembre dernier, nous avons d’ailleurs prié ensemble dans ce lieu, avec le cardinal Dominik Duka (NDLR archevêque de Prague). Les vainqueurs et les vaincus ont prié ensemble, réunis par le Christ.
Parmi les fidèles, peut être que certains, fervents protestants ou catholiques, voudraient se souvenir de cette époque. Mais, entre les pasteurs, les relations sont très bonnes. Par exemple, les aumôniers militaires, ou dans les hôpitaux, catholiques et protestants, travaillent ensemble et prient ensemble.
Est-ce un témoignage pour la société tchèque majoritairement athée?
D.F : La plupart des gens ne voient pas vraiment la différence entre les catholiques et les protestants. Ils viennent nous poser des questions sur l’existence de Dieu, sur le sens de la souffrance, mais ne font pas vraiment la différence.
Comment pensez-vous rejoindre la société tchèque ?
D.F : Nous devons trouver un langage simple et compréhensible pour transmettre l’Évangile à ceux qui ne l’ont jamais entendu. La meilleure chose est sans doute l’ouverture des lieux de cultes, pas seulement le dimanche matin. Dans la société tchèque, les jeunes générations sont ouvertes à l’Évangile, je suis convaincu.
Au sein du conseil œcuménique des Églises, tout le monde n’est pas d’accord sur la manière de témoigner de sa foi. Certains pensent qu’il faut le faire de manière explicite, en sortant des églises. D’autres préfèrent attendre que les gens viennent leur poser des questions. Mais les choses changent et beaucoup comprennent qu’il faut davantage aller dehors pour annoncer l’Évangile.
C’est presque plus difficile que du temps du communisme. À cette époque, on était soit chrétien, soit athée. Aujourd’hui, dans une société multiculturelle, il peut y avoir plusieurs croyances et beaucoup de relativisme. Il faut trouver des chemins différents pour rejoindre la population. C’est pour ça que je me réjouis que la rencontre de Taizé soit basée sur la prière. Car on peut faire beaucoup de choses en prêchant et en enseignant, mais on ne peut pas tout faire. La prière, elle, ouvre les cœurs et les rend disponibles. J’espère que les temps de prière de la Rencontre diffusés à la télévision pourront toucher ceux qui verront des jeunes prier. Ce sera un témoignage pour la société tchèque. Car certains pensent ici que le christianisme est réservé aux personnes âgées.