C’est en échange du paiement de la somme conséquente de 100 000 ngultrums (soit environ 1 400 euros), le 19 janvier dernier, que le pasteur évangélique bhoutanais, père de trois enfants, a été relâché. Les juges ont également annoncé avoir « levé toutes les charges contre lui », rapporte le 5 février l’ONG Portes ouvertes qui suit l’affaire depuis le début.
Le Rév. Wangyal avait été incarcéré en même temps qu’un autre pasteur bhoutanais, le Rév. Mon Thapa (Lobsang), lequel avait été relâché en septembre dernier, contre le paiement d’une amende de 98 800 ngultrums (un peu plus de 1 000 euros).
Les deux pasteurs avaient été arrêtés le 5 mars 2014, alors qu’ils conduisaient un enfant malade à un hôpital de village. Ils étaient arrivés la veille pour préparer un séminaire de trois jours qui devait se tenir à la demande d’une trentaine de chrétiens des environs, dans le village de Khapdani (district de Samtse, situé dans le sud-ouest du pays). Les autorités les avaient alors emprisonnés pour avoir voulu « organiser un rassemblement religieux sans autorisation préalable », prévu de « diffuser un film sans le certificat d’approbation officiel du ministère agréé » et collecté « illégalement des fonds pour une activité contrevenant aux lois du pays » (1).
Après plusieurs audiences, le 10 septembre dernier, la cour de Dorokha (district de Samtse) avait condamné à plus de quatre ans de prison ferme le Rév. Tendin Wangyal pour infraction à l’article 71 du Code pénal (1) interdisant la collecte de fonds pour des activités exercées sans l’autorisation préalable des autorités, et à deux ans et quatre mois d’emprisonnement le Rév. Mon. B Thapa, pour avoir été son complice dans l’organisation d’une « réunion sans autorisation».
Ce n’est qu’après son dernier appel, en novembre 2014, que Tendin Wangyal a pu voir sa peine réduite à deux ans et quatre mois, suite à l’abandon de l’accusation qui lui avait été faite de « pratiquer des conversions forcées », rapporte Morning Star News, une agence protestante basée aux Etats-Unis.
L’affaire avait été discutée au plus haut niveau de l’Etat. Le ministre de l’Intérieur et des Affaires culturelles, Damcho Dorji, avait justifié les arrestations des deux chrétiens en conférence de presse en affirmant qu’ils avaient tenté de « pratiquer des activités prosélytes » sans autorisation des autorités et en « violation complète de la législation du Bhoutan ».
Les chrétiens, considérés par la population comme « l’avant-garde de l’Occident », sont perçus comme une menace pour « l’identité nationale bhoutanaise », laquelle ne fait qu’une avec le bouddhisme. Un Bhoutanais qui se convertit au christianisme court le risque de perdre sa citoyenneté.
Le prosélytisme, la publication de bibles, la construction d’églises, d’écoles ou d’autres institutions chrétiennes sont prohibés. L’entrée des missionnaires sur le territoire est interdite et le culte chrétien doit être pratiqué au sein de la sphère privée.
Au dernier examen périodique universel du Bhoutan devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, plusieurs pays, dont les Etats-Unis, ont exhorté le Bhoutan à garantir la liberté religieuse en autorisant toutes les communautés à pratiquer librement leur foi et en leur permettant d’accéder à une reconnaissance légale.
L’ONG Alliance Defending Freedom (ADF) a souligné quant à elle que le Bhoutan avait promulgué plusieurs lois restreignant les droits fondamentaux des citoyens, dont la liberté d’association et la liberté de religion. Le Bhoutan est par ailleurs sur la liste noire des pays persécutant les chrétiens de l’ONG Portes ouvertes.
Selon les statistiques officielles (recensement de 2005), 75 % des 700 000 Bhoutanais sont bouddhistes, 22 % hindous – la plupart d’origine népalaise –, le reste de la population se partageant entre chrétiens et autres confessions. Des sources locales, essentiellement protestantes, annoncent un nombre d’environ 20 000 chrétiens, parmi lesquels se trouveraient quelques centaines de catholiques. Des chiffres difficiles à vérifier, les Eglises chrétiennes au Bhoutan étant essentiellement « souterraines » et non déclarées.
(eda/msb)