Avec 400 participants en 2014 pour l’ensemble de la Suisse romande, les parcours Alphalive connaissent un certain succès tant du côté catholique que protestant. Pourtant, ce programme de découverte de la foi chrétienne qui vient de Londres ne fait pas l’unanimité. L’avis de deux pasteurs réformés.
Photo: CC(by) Francisco Osorio (image-prétexte)
Par Elisabeth Schenker
Pasteure dans le canton de Genève, Carolina Costa s’est très tôt passionnée pour ce que l’on appelait il y a encore peu la «catéchèse pour adultes», et que Pierre Glardon, ancien pasteur chargé de la formation pastorale du canton de Vaud, préfère appeler «formation spirituelle pour adultes».
Intéressée par le parcours «Alphalive», c’est tout naturellement que Carolina Costa s’est inscrite à une journée organisée par Alpha pour la formation des animateurs de parcours. «Cette formation n’est pas obligatoire, mais fortement conseillée», explique Emmanuel Voeffray, coordinateur de Suisse romande. «On s’inscrit sur le site Alpha Suisse, où l’on peut acheter les outils pédagogiques et les supports de cours, continue-t-il. Dans ces journées de formation, on traite de thèmes comme l’importance des petits groupes, la meilleure manière d’inviter les gens. On présente les principes, c’est comme une recette de cuisine. Suivez la recette de manière à ce que le résultat corresponde à ce que l’on veut.»
Le besoin d’une théologie plus réformée
Après cette expérience, Carolina Costa raconte: «ce qui est super dans les parcours Alpha, c’est le contexte: on mange ensemble, on construit une communauté.» Pourquoi ne pas alors utiliser ce concept «clés en main»? Deux choses ont décidé la pasteure genevoise à inventer un autre type de parcours de questionnement spirituel
La première touche une question de cohérence: ces parcours Alphalive ont pour slogan «ta question compte». Or, explique Carolina Costa, «il n’y a pas de place pour poser sa question! Les participants sont confrontés à une théologie qui est orientée sur celle du directeur d’Alpha, Nicky Gumble. En fait les cours ne donnent que du contenu. Les discussions se font à partir de ce qu’a dit Nicky Gumble, puisque les exposés sont faits à partir de son livre. On n’a pas accès directement au texte de la Bible. Alors que ce qui est vraiment intéressant à mon sens, c’est que les gens dialoguent avec le texte directement. Le centre c’est la Parole, c’est le Christ, pas ce que j’en dis ou ce que j’en pense.»
La deuxième raison qui a poussé la pasteure genevoise à inventer un autre type de parcours est effectivement d’ordre théologique: «à la fin de la formation, on nous apprend que dans un groupe, il y a toujours un moment où surgissent des questions compliquées. Pour cela, on nous propose encore un livre de Nicky Gumble: “Sujets brûlants”, dans lequel par exemple l’homosexualité est tout simplement condamnée.» D’après Carolina Costa, le parcours Alpha véhicule en fait une idée sous-jacente du type: «nous avons la vérité et la bonne interprétation et c’est à partir de là qu’on discute… On peut y mettre sa sensibilité, certes, mais si on entre dans le concept du label, c’est que l’on partage leurs idées. Ce que je ne veux pas cautionner», argumente-t-elle avant de conclure: «je préfère travailler avec une théologie différente, axée sur l’ouverture et l’accueil. Dans les groupes que je propose, il n’y a ni bonnes ni mauvaises réponses, on cherche ensemble, et ce n’est pas seulement un slogan, c’est vraiment ce que l’on fait. Tout se passe entre les gens et le texte.»
Un parcours très balisé encadré par des laïcs
Emmanuel Voeffray de son côté confirme que le parcours Alphalive repose sur les questions exposées dans le livre de Nicky Gumble, cet ancien avocat devenu pasteur dans l’Eglise anglicane. Son livre intitulé «Les questions de la vie» aborde les 15 thèmes du parcours de découverte: «Pourquoi Jésus est-il mort?», «Comment lire la Bible?», etc. «Le but n’est pas de dire le contraire de ce qui est écrit, explique Emmanuel Voeffray: il faut une uniformité. L’exposé suit toujours le livre, de façon à ce que les gens puissent retrouver la même chose s’ils déménagent. Les soirées se déroulent en trois temps: repas, exposé sur le chapitre du livre de Nicky Gumble, ou vidéo de Nycky Gumble, discussion en petits groupes. C’est une invitation à devenir confessant: mettre en avant la Bible. Oui, il y a des contradictions dans la Bible, mais on ne touche pas les points de divergences, c’est pour cela qu’Alpha est chrétien avant tout.» Un Week-end «Esprit Saint» est compris dans le parcours.
Une quarantaine de paroisses catholiques et protestantes utilisent actuellement le parcours Alphalive en Suisse romande. «Les protestants de la Broye utilisent le parcours alpha en dernière année au caté pour les jeunes, mais le parcours rencontre des réticences de la part de certains pasteurs protestants», déclare Emmanuel Voeffray.
En fait, il est rare que ce soient des pasteurs ou des prêtres qui animent ces parcours. Selon le coordinateur, ce sont souvent des gens qui ont vécu un parcours qui font la formation. Toujours selon lui, le nouvel évêque de Sion est enchanté de cet outil. Alpha est présent dans 169 pays en 110 langues. Il y a à ce jour 24 millions de personnes qui ont suivi un cours de ce type.
D’où vient un tel succès?
«Ils sont très forts du côté marketing», reconnaît la pasteure Carolina Costa. Pour Pierre Glardon, ancien pasteur dans l’EERV, qui a été longtemps responsable de la formation initiale des pasteurs vaudois, leur succès vient aussi de ce que d’une certaine manière, ce genre de parcours vient répondre aux besoins des gens: «ce qu’il y a de bien dans le parcours Alphalive, c’est cette intuition qu’ils ont eue et qui va dans deux directions: le renforcement de la vie communautaire, ce qui est très important, surtout de nos jours, et le début d’une mise en activité des participants grâce aux discussions en petits groupes.»
Mais pour ce formateur d’adultes, ce n’est pas encore suffisant. «La Parole est opérative par elle-même. En mettant les gens en contact avec cette Parole, on sort de la parole “sur”. C’est la Parole vécue qui est opérative» explique-t-il. Pierre Glardon propose donc aussi un autre type de parcours de formation spirituelle, qui met l’accent sur le travail sur soi. Il précise: «cela ne s’oppose en rien à la grâce. Le travail sur soi n’est pas une “œuvre”, mais un passage nécessaire à l’ouverture et au changement, à la puissance de transformation de la Parole». Pierre Glardon est également thérapeute et psychopédagogue, et il souligne qu’il est particulièrement important dans ce genre de démarche que «la mise en activité des gens soit existentielle et pas seulement intellectuelle. Le lieu d’exercice, dit-il, c’est la relation, l’entraînement à l’agapè; un exercice véritablement évangélique, celui du triple amour pour Dieu, pour l’autre, pour soi». Avec un seul support: la Bible, à partir des textes du Nouveau Testament.