Mariage pour tous : les Protestants disent oui aux bénédictions

Le mariage pour tous vient tout juste de célébrer ses noces de cuir. La loi autorisant l’union de couples homosexuels a été promulguée en effet il y a deux ans, après des mois de débats passionnés qui ont précipité des centaines de milliers d’opposants dans la rue. Depuis, le climat s’est apaisé, même si l’association SOS Homophobie faisait encore état récemment, dans son dernier rapport annuel, de statistiques préoccupantes. Hasard du calendrier, le synode de l’église protestante unie de France (l’une des principales Églises protestantes de France, née en 2012 de l’union de l’église réformée de France et l’église évangélique luthérienne), vient d’autoriser ses pasteurs à bénir, s’ils le souhaitent, les couples homosexuels mariés civilement. Andrew Rossiter, pasteur des paroisses de Dieppe et Luneray, se tient prêt.

Andrew Rossiter, pasteur de l’Église protestante unie de France, soumettra prochainement la question à ses paroissiens de Dieppe et de Luneray, selon le principe protestant voulant que chaque décision soit aussi bien validée par les instances représentatives que par la base pratiquante.

Lui-même, et il ne l’a jamais caché à ses coreligionnaires, est un fervent partisan du choix acté par son clergé le 17 mai dernier : le synode de l’Église protestante unie de France s’est en effet prononcé en faveur de la bénédiction des unions homosexuelles. Le vote s’est révélé sans appel, (94 votes pour, sur une centaine de délégués), après dix-huit mois de débats internes.

« Une décision consternante » pour les évangéliques

En réalité, « cela fait une vingtaine d’années que notre église a pris en main cette question », témoigne Andrew Rossiter. La bénédiction des couples homosexuels a déjà été adoptée par d’importantes communions protestantes d’Europe (Espagne, Italie…) et d’Amérique du Nord. En France, l’évolution législative a naturellement influé sur la position de l’Église protestante unie. Par un hasard de calendrier, le vote du synode a d’ailleurs parfaitement coïncidé avec les deux ans de l’entrée en vigueur de la loi sur le mariage pour tous, le 17 mai.

Le hasard s’arrête là, puisqu’il s’agit bien d’une adaptation à un nouveau contexte sociétal. « Nous répondons à une demande qui existe », affirme Andrew Rossiter. Contrairement au culte catholique, il n’existe pas de mariage religieux chez les protestants. Le pasteur se contente d’une bénédiction des couples unis civilement. « Les débats ont d’ailleurs davantage porté sur cette notion même de bénédiction, ce qu’elle signifie dans notre société actuelle », indique le pasteur de la région dieppoise. En l’occurrence, « nous ne sommes que les canaux de Dieu, lance Andrew Rossiter. Qui sommes-nous pour décider d’ouvrir ou non ce canal ? » Le communiqué officiel de l’Église protestante unie demeure à ce sujet parfaitement clair : « Le synode est soucieux à la fois de permettre que les couples de même sexe se sentent accueillis tels qu’ils sont et de respecter les points de vue divers qui traversent l’Église protestante unie. »

Toutefois, cette ouverture, qui tranche de manière spectaculaire avec le dogme des « cousins » catholiques, est également loin de faire l’unanimité au sein de la communauté protestante. Le Conseil national des évangéliques de France (CNEF), qui revendique la représentation de « plus de 70 % des pratiquants réguliers du protestantisme en France », évoque ainsi « une décision consternante ». Pour lui, l’Église protestante unie de France confond « le souci louable d’accueillir en l’Église les personnes homosexuelles, avec la bénédiction d’une pratique condamnée sans équivoque par la Bible ». Ces désaccords, Andrew Rossiter les a rencontrés dans ses propres paroisses*, où « certains ont participé à la Manif pour tous » contre le mariage homosexuel. Mais lui, une fois de plus, assume pleinement son soutien à la bénédiction des couples homosexuels, renvoyant à la pensée de Calvin : « Chaque croyant est son propre pape. »

L’Église protestante unie pourrait même aller encore plus loin : puisqu’elle bénit les personnes de même sexe désormais autorisées à se marier, et puisque les pasteurs ont eux aussi la possibilité de s’unir, pourquoi n’accepterait-elle pas en son sein l’exercice de pasteurs homosexuels ? « C’est déjà le cas au Danemark, souligne Andrew Rossiter. L’un de mes amis, un pasteur homosexuel, est marié là-bas. »

Thomas Dubois

t.dubois@presse-normande.com

* Selon le pasteur Andrew Rossiter, la paroisse de Dieppe compte une soixantaine de familles à Dieppe, celle de Luneray près de deux cents.

À l’écoute des homos croyants

Vivre pleinement sa foi et son homosexualité, Pierre, lui aussi protestant, y arrive parfaitement. « Mais je connais d’autres homos, ou bien leurs proches, qui ont le sentiment d’être rejetés par la religion », explique le pratiquant assidu, âgé de 33 ans.

Installé près de Caen, Pierre souhaiterait y ouvrir un espace d’accueil et d’écoute pour toutes ces personnes, avec l’appui du centre LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et trans) de Normandie. « C’est très difficile : le milieu religieux reste naturellement assez fermé à la cause homosexuelle et, à l’inverse, le milieu homo est très hostile au cadre religieux. » La décision de l’Église protestante unie de France, relative à la bénédiction des unions homosexuelles, réjouit de fait le pratiquant.

« Les gens s’en foutent »

« Ces bénédictions se faisaient déjà plus ou moins en privé, ce choix permet au moins de clarifier la situation, note Pierre. L’Église réformée, qui donne la parole à la base sans imposer des décisions venues d’en haut, est de fait plus proche des préoccupations contemporaines. »

Contrairement, sous-entendu, à un culte catholique encore très loin de franchir le pas. « Pour ma part, je suis très l’aise avec la pratique de ma religion et mon homosexualité. Pour mon compagnon, catholique, ce fut plus compliqué. Mais nous allons au culte ensemble, au temple comme à l’église. Les gens ne nous ont jamais jetés de pierres : ceux que ça dérange ne nous parlent pas, c’est tout. Mais honnêtement, les trois quarts des gens s’en foutent. »

D’ailleurs, pour mener à bien son projet de permanence, Pierre assure avoir trouvé une écoute attentive auprès d’un pasteur de la région caennaise, mais aussi d’un prêtre catholique.

T. D.

Après les Irlandais, les Allemands attendent

Y aura-t-il un référendum en Allemagne pour décider s’il faut, ou non, autoriser le mariage homosexuel ? C’est en tout cas le vœu de certains partisans de l’égalité complète entre les couples. En Allemagne, les personnes du même sexe n’ont pas le droit de se marier mais, si elles le désirent, peuvent signer un « partenariat » qu’un projet de loi voudrait élargir. À ce jour, la question reste synonyme de tabou outre-Rhin. En 2013, la Chancelière avait écarté l’idée de présenter un projet de loi instaurant le mariage gay.

En tout cas, les Allemands partisans du mariage entre deux hommes ou deux femmes viennent de retrouver un peu de baume au cœur ces derniers jours après la décision prise par les Irlandais d’approuver par un « oui » franc et massif le mariage homosexuel. Le 24 mai dernier, vingt-deux ans après la dépénalisation de l’homosexualité en Irlande, le « oui » l’a en effet emporté avec 62 % des voix. L’Irlande est ainsi devenue le 19e pays, le 14e en Europe, à légaliser le mariage gay. Il est, par contre, le seul pays à l’avoir fait par référendum, les autres gouvernements ayant opté pour la voie parlementaire.

Les mariés de l’an II

L’alliance à son annulaire gauche n’est pas encore marquée de la patine du temps. Pierre Passavant n’a dit « oui » qu’il y a quelques semaines. À peine évoque-t-il son mariage que des étoiles brillent dans ses yeux.

« On a voulu faire quelque chose de grand, sur le thème des constellations. Nous avons préparé toutes les décorations, des billets d’embarquement pour la soirée façon ticket pour une navette spatiale, une vidéo et des sons d’ambiance pour accompagner les invités. Même une chorégraphie pour notre entrée », s’enthousiasme le jeune marié de 40 ans, heureux de recevoir les messages de remerciements et de félicitations des convives du 9 mai.

« Spirituellement parlant, ce serait important »

Anthony Quindroit

a.quindroit@presse-normande.com

C’est que ce mariage, le Rouennais l’attendait depuis longtemps. Mais, en couple depuis 14 ans et pacsé depuis 11 ans, il ne pouvait prétendre passer devant M. le maire que depuis deux ans. Auparavant, en France, Pierre n’avait pas le droit d’épouser Olivier. « Le jour de l’adoption du mariage pour tous, le 23 avril 2013, je m’en souviendrais toute ma vie. Je revois Claude Bartolone qui annonce le résultat. Nous étions devant la télévision, j’ai chialé comme une madeleine en criant : « Égalité ! »Le soir même, je demandais la main de mon compagnon », narre-t-il.

Au-delà du symbole, c’était aussi une volonté de « protéger l’autre » en cas de problème. Et une revanche après la souffrance et les tombereaux de haine déversés pendant les débats. « Il y a eu énormément de méchanceté, nous en avons beaucoup souffert. Pendant dix-huit mois, ça a été l’enfer. C’était même parfois compliqué d’en parler en famille. Je ne comprends pas pourquoi cela a provoqué une telle agitation en France alors que c’est passé comme une lettre à la Poste en Angleterre. Surtout que ça ne change rien pour les couples hétérosexuels. »

Les relents homophobes l’ont plusieurs fois rendu malade. Le niveau de certains politiques aussi. Entendre parler de retour en arrière l’énerve pour celles et ceux qui ne sont pas encore mariés. Quant à l’adoption, il ne comprend pas certains blocages : « Pourquoi une amie, en couple avec une autre amie mère d’un enfant, ne pourrait-elle pas adopter cet enfant alors qu’elle participe à son éducation et à son bien-être ? », s’interroge-t-il. Quid de la gestion pour autrui (GPA) ? « C’est un peu la marchandisation de la femme. Mais ça peut aussi être une bonne chose pour un couple », lâche-t-il sans avis totalement tranché.

Il applaudit en tout cas l’initiative des pasteurs protestants qui acceptent désormais de bénir les couples du même sexe. « C’est une belle avancée. Nous, nous devions être bénis par une femme, pasteur anglicane, mais c’est tombé à l’eau, faute de temps. Mais, pour moi qui suis croyant, spirituellement parlant, ce serait important. Si j’avais pu le faire chez les catholiques, je l’aurais fait. » Un jour, peut-être. Il y croit. Il veut y croire. « Le Pape est génial. Il veut faire avancer les choses, ce qui était moins le cas avec Ratzinger [Benoît XVI, le précédent pape, NDLR]. Ça peut évoluer, ces discours sont plus ouverts. » Mais il modère de lui-même son ardeur : « Enfin, pour Civitas, nous sommes des suppôts de Satan, donc… C’est encore loin d’être gagné ! »

Pierre Passavant est aussi conscient que, même si la loi est entrée en vigueur, la société n’a pas encore complètement évolué : « On ne représente que 4 % des mariages en France, mais il y a encore du boulot pour que ça entre dans les mœurs. »