Imam, archevêque et pasteur, c’est un commando spirituel de choc qui depuis plus de deux ans parcourt une Centrafrique à feu et à sang, cherchant à désamorcer un conflit que certains veulent confessionnel. Ce mercredi à Genève, c’est cet impressionnant effort de réconciliation qui est honoré par la remise du Prix Sergio Vieira de Mello à l’organisation Interfaith Peace Platform mise sur pied par les trois «Saints de Bangui»: Mgr Dieudonné Nzapalainga, l’imam Oumar Kobine Layama, président du Conseil islamique, et le pasteur Nicolas Guérékoyaméné-Gbangou, qui préside l’Alliance évangélique. Pour eux, il n’y a pas d’un côté les combattants musulmans de la Séléka et de l’autre les milices d’autodéfense chrétiennes, dites «anti-balaka». C’est Dieu qui est pris en otage. Rencontre.
Comment vous est venue l’idée de ces tournées à trois? Quel a été le déclic?
L’imam: C’était le 15 décembre 2012, bien avant que les rebelles de la Séléka ne prennent le pouvoir (ndlr: en mai 2013), des nouvelles inquiétantes parvenaient de l’arrière-pays. Je me suis entretenu avec le pasteur et nous avons contacté l’archevêque. Il a tout de suite compris l’enjeu.
L’archevêque: Il y avait des morts, des musulmans tuaient des chrétiens, temples et églises étaient détruites… Inimaginable dans un pays où les familles mélangent chrétiens et musulmans! Avant même d’avoir confirmation des troubles, nous avons vu le danger.
Le pasteur: A Mobaye, la Séléka a détruit l’église catholique. La population a traversé la frontière pour se réfugier en RDC. Mais les jeunes voulaient revenir attaquer des intérêts musulmans. C’est là que nous avons commencé nos tournées. A chaque fois que nous entendions parler de tensions, nous nous rendions sur place, pour délivrer ensemble notre message: «Ne laissez pas la religion être instrumentalisée! Qu’on soit musulman ou chrétien, Dieu est amour et pardon.»
En pratique, comment faites-vous pour réconcilier les gens?
L’archevêque: Nous procédons avec méthode. A notre arrivée, chacun rencontre sa propre communauté et note tous les griefs. Puis nous nous retrouvons tous les trois pour faire le point. Ensuite, nous réunissons tous les imams, pasteurs et abbés autour d’une table et les poussons à formuler leurs accusations, confronter les versions, éclaircir les malentendus, demander pardon… Ces gens ne se parlent plus depuis des mois! Il faut rétablir la vérité. C’est ce que nous faisons ensuite devant toute la population rassemblée, souvent pour la première fois. Un exemple? Tel commerçant musulman est détesté parce qu’on croit qu’il vend des marchandises volées. En réalité, il est lui-même victime de combattants qui occupent son magasin.
Le pasteur: On croit les musulmans complices de la Séléka, mais beaucoup en sont la cible.
L’imam: Pareil pour les anti-balaka, qui ne visent pas que des musulmans, aujourd’hui à Bangui les chrétiens souffrent davantage.
N’êtes-vous pas vous-mêmes pris pour cibles?
Le pasteur: Si bien sûr. La maison de l’imam a été détruite. Il a été hébergé six mois par l’archevêque. Moi-même, qui ai recueilli le frère de l’imam et sa famille, mon temple a reçu huit grenades.
L’archevêque: Mais on nous reconnaît aussi une autorité morale. Nous leur parlons comme à des enfants égarés. A ceux qui disent combattre au nom de leur foi, nous montrons les contradictions. Quand des gens sont détenus injustement, nous allons réclamer des comptes et obtenons leur libération. Au départ, nous étions les seuls à pouvoir dire ces choses. Quand l’imam déclarait haut et fort «Un bon musulman ne vole pas», la foule l’applaudissait. Depuis, notre démarche en a inspiré d’autres, comme des plates-formes de jeunes ou de femmes.
L’imam: A présent il y a même des anti-balaka qui viennent me demander conseil quand ils ont un souci. Et des Séléka vont voir le pasteur ou l’archevêque. (24 heures)
(Créé: 19.08.2015, 17h09)