Grostenquin (France) (AFP) – Au sein de la communauté évangélique tsigane “Vie et Lumière”, réunie jusqu’à dimanche en Moselle pour sa convention annuelle, la foi pousse des hommes éloignés de la culture écrite à se plonger dans la lecture et l’écriture pour devenir pasteurs.
Sur l’ancienne base aérienne de Grostenquin, où 30.000 gens du voyage pentecôtistes sont rassemblés depuis le 23 août, la parole de Dieu retentit partout: sous l’immense chapiteau bleu et jaune où ont lieu les cultes, mais aussi dans les caravanes ou dans cette voiture, dont la portière laissée ouverte laisse entendre la voix tonitruante d’un pasteur, enregistrée sur un CD.
Sur des tréteaux, des jeunes gens et des enfants vendent des CD de cantiques et des prêches des jours précédents, des Bibles et des coloriages à thème religieux.
Bastien, 39 ans, costaud à la tête rasée, déambule entre les caravanes, chargé d’une brassée de baguettes de pain. “Je me suis converti à l’Évangile en 2006, pendant le rassemblement de Grostenquin”, raconte-t-il.
Depuis, il a rejoint l’école biblique de la communauté, installée à Nevoy (Loiret), afin de devenir pasteur. Une démarche qui implique de passer un examen de lecture.
“Quand je suis rentré à l’école biblique, je savais déjà bien lire”, explique Bastien, précisant qu’il est allé à l’école “jusqu’à 12 ans”. “Tout le monde n’a pas cette chance: certains doivent réapprendre à lire, mais Dieu les aide, leur donne cette force”, ajoute-t-il, le sourire aux lèvres.
– “L’appel de Dieu” –
Forte d’environ 100.000 membres, la communauté “Vie et Lumière” forme plusieurs dizaines de pasteurs chaque année, en deux sessions de neuf semaines.
“On ne forme pas des prédicateurs; on fait connaître les écritures à ceux qui ont reçu l’appel de Dieu”, précise Michel Calot, pasteur et enseignant à l’école biblique. “Beaucoup ont appris à lire et à écrire parce qu’ils ont reçu cet appel”, complète-t-il.
“D’année en année, ils (les responsables de cette formation) deviennent de plus en plus exigeants sur le niveau de lecture”, constate Andrée Chastel, alias “Doune”, présidente du Clive (Centre de Liaison et d’Information École Voyage). “Au début, ils ne demandaient que du déchiffrage, maintenant ils demandent de la compréhension. Dans les années à venir, ils vont demander de l’écriture”.
Mme Chastel a remarqué que “certains jeunes se mettent à travailler comme des malades pour avoir le niveau de l’examen, alors que d’autres se découragent”.
Gino, grand gaillard de 33 ans qui gagne sa vie en faisant des travaux de peinture, a déjà effectué la première moitié de la formation.
“On n’a pas trop l’habitude d’être enfermé dans des salles de classe, avec des horaires d’école”, s’amuse-t-il, avant d’ajouter que “le but final” permet de maintenir la motivation. “Je veux travailler à sauver des âmes”, s’enthousiasme cet ancien catholique, converti il y a six ans.
Militants associatifs et chercheurs s’accordent pour dire que les gens du voyage évangéliques sont très avides de pouvoir lire la Bible, bien que beaucoup d’entre eux souffrent de problèmes d’illetrisme.
Ce sont donc souvent les pasteurs ou les enfants scolarisés qui la lisent à haute voix pour les autres. Certains pasteurs contribuent également à diffuser un nouveau rapport à l’écrit vers les jeunes générations, en déchiffrant la Bible avec leurs enfants, le soir.
Toutefois, pour Marie-Claude Le Quéau, formatrice à la Fnasat (Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les Gens du voyage), “il y a un frémissement, mais ce n’est pas encore vraiment gagné”.
“Ceux qui accèdent à la fonction de pasteur sont déjà des leaders dans les groupes, ce sont ceux qui comprennent le mieux le monde des sédentaires et souvent ceux qui ont été le plus scolarisés”, explique-t-elle.
En octobre 2012, un rapport de la Cour des comptes pointait le fait qu'”une partie particulièrement importante des enfants du voyage dans la tranche d’âge 12-16 ans semble échapper à l’obligation scolaire”.