[mercredi 23 septembre 2015 – 09:00]
Tout écolier a en tête les dates d’avril 1598, mois de la signature de l’édit de Nantes, et du 22 octobre 1685, correspondant à sa révocation. Loin d’être un édit de tolérance, tout du moins dans notre acception moderne du terme, le traité organise le modus vivendi des catholiques et des protestants dans le royaume de France où règnent désormais les Bourbons. Il vient, temporairement, clore les affrontements religieux qui ont agité le royaume depuis 1563. Si l’histoire politique de la communauté protestante durant le court siècle d’application du traité est connue, il n’en va pas de même de l’histoire sociale de ses élites , notamment de celles encadrant la pratique religieuse de la communauté.
C’est justement dans ce domaine que l’ouvrage de Julien Leonard, issu d’une thèse récemment soutenue, vient apporter une contribution décisive. A travers une vision d’ensemble de la vie et de l’œuvre de Paul Ferry, pasteur messin en activité entre 1612 et 1669, l’historien livre un panorama complet de l’action d’un pasteur français sous le régime de l’édit de Nantes.
Une étude de cas exemplaire
Autant le dire d’emblée, Julien Léonard a lu toute la littérature disponible en langue française, anglaise et allemande sur les ministres de la religion protestante et plus généralement sur le protestantisme au XVIIème. L’ouvrage dépasse ainsi la simple monographie érudite pour s’inscrire dans une indéniable perspective comparatiste, ce qui constitue le premier apport du livre. Ainsi, la vie de Paul Ferry est étudiée de façon à être toujours mise en perspective avec d’autres pasteurs, français ou étrangers. Le livre acquiert ainsi une profondeur qui dépasse la simple étude de cas.
Il excède aussi cette dernière par le caractère exceptionnel de la documentation dont dispose l’historien pour traiter le sujet. Paul Ferry est loin d’être un inconnu pour les historiens du XVIIème siècle et pour ceux du protestantisme. Il a, en effet, laissé un corpus documentaire exceptionnel par sa profusion. Un massif de lettres considérable, permettant une intéressante étude de son réseau épistolaire et de ses stratégies de publication, des notes de lectures, de très nombreux brouillons, quelques livres imprimés, sans compter l’ensemble des textes contemporains qui le mentionnent. Julien Leonard reconnaît d’ailleurs que si l’étude de Paul Ferry offre la possibilité de généralisations utiles et pertinentes, n’en revêt pas moins un caractère exceptionnel . Sans reprendre le long argumentaire de la microstoria ou de la nécessité du « penser par cas », l’auteur pose toutefois de manière convaincante l’opportunité de son étude en montrant toujours parfaitement ce qu’il y a d’exceptionnel, ce qu’il y a d’emblématique et ce qu’il y a d’anodin chez Paul Ferry.
De ce point de vue, l’ouvrage forme un modèle de « biographie sociale » qui embrasse de manière synthétique l’action de pasteur. On signalera ici l’abondante bibliographie ainsi que les nombreuses notes infrapaginales qui permettent de suivre l’argumentation de l’auteur dans les moindres détails.
Le pasteur au XVIIe siècle, entre professionnalisation et cléricalisation
La grande leçon du livre du Julien Leonard est de revenir sur une vision, ancienne mais trop souvent présente, du pasteur sous le régime de Nantes comme figure embourgeoisée, en usant d’un anachronisme. Les pasteurs, loin des drames des guerres de religion – et pour certains historiens protestants, de l’héroïsme afférent –, auraient connu un assèchement spirituel et une recherche de notabilisation. Cette image ne résiste pas à l’étude. S’il est indéniable que les débats sur le sacerdoce universel restent d’actualité, les ministres connaissent toujours un parcours plus encadré. Pour autant, celui-ci ne va pas de pair avec une régression de la croyance ou une baisse de ferveur, puisqu’on voit Paul Ferry tout aussi engagé dans l’encadrement pastoral que dans son activité de prêche, dans sa lutte apologétique que dans une entreprise de promotion de la religion protestante.
En revanche, suivant en cela la tendance la plus récente de l’historiographie du protestantisme français, l’auteur montre combien les ministres jouent un rôle de plus en plus prépondérant dans la promotion d’une identité confessionnelle protestante. Cela s’effectue sur deux plans. Le premier correspond à la mise en avant du caractère exemplaire des pasteurs comme modèle à suivre, ce qui aboutit aussi bien à leur constitution en groupe social à part qu’à l’apparition d’une homogénéité du corps des ministres, même si celle-ci s’avère toute relative comme le montrent les luttes intrinsèques aux ministres messins. Le second correspond aux représentations que répandent ces ministres, diffusant un éthos – toujours difficile à analyser – protestant.
Dans le cas de Ferry, l’élément messin occupe un rôle prépondérant. Metz est rattachée à la France en 1552 mais n’est reconnue comme possession française qu’au moment de la ratification des traités de Westphalie en 1648. Elle occupe de ce fait une place à part dans la réunion des églises du royaume de France. A cet égard, il faut savoir gré à Julien Léonard de toujours insister avec justesse sur le contexte géopolitique de Metz en essayant de mener cette étude à différentes échelles. Sans trop s’appesantir, on peut dire que le livre est aussi une contribution cruciale à l’histoire de Metz, qui permet de mieux saisir la particularité confessionnelle de la ville mais aussi son histoire politique.
Ainsi le livre de Julien Leonard s’avère une entreprise ambitieuse d’acclimatation au sol français des méthodes de la « biographie sociale ». Le résultat est un succès qui permet de saisir de manière claire et documentée ce qu’est un pasteur au XVIIe siècle en France. Comme l’auteur en fait modestement la remarque conclusive, il s’agira, de poursuivre cet effort pour essayer, autant que faire se peut – puisqu’il n’y a qu’un seul corpus documentaire de cette ampleur –, de mieux connaître ces hommes qui ont joué un rôle central dans l’affirmation d’une identité protestante