S’agira-t-il d’une concurrente à la Faculté de théologie lausannoise, ou une alternative à la voie universitaire? La Haute Ecole de théologie (HET-pro) qui se dessine sur les hauts de la Riviera fait causer les protestants vaudois. Aujourd’hui, pour être pasteur réformé dans une Eglise cantonale qui dénombre 262 ministres (pasteurs et diacres), une seule voie possible: celle du master en théologie dispensé dans les universités (Lausanne, Genève ou, jusqu’à il y a peu, Neuchâtel). Le projet de Haute Ecole annoncé ce printemps bouleversera la donne et divise déjà évangéliques et réformés classiques. Xavier Paillard, président du Conseil synodal (Exécutif de l’Eglise réformée) et David Richir, chef de projet de la HET et enseignant à l’Institut biblique et missionnaire Emmaüs à Saint-Légier, croisent le fer.
Xavier Paillard, le réformé
– Comment devient-on pasteur aujourd’hui dans le canton de Vaud?
-L’entrée dans le cursus de formation au ministère pastoral requiert un master en théologie délivré ou reconnu par la Faculté de théologie et de sciences des religions de Lausanne. Une commission des stages statue ensuite sur l’entrée en formation professionnelle au pastorat, et les candidats admis accomplissent un stage accompagné de dix-huit mois et soixante jours de formation. Les jeunes pasteurs commencent leur ministère comme ministres suffragants pendant une année au moins, avant d’être consacrés.
– Vous avez, dès le départ, affiché votre réticence face à la Haute Ecole de théologie en gestation. Pourquoi cette frilosité?
– Ce projet s’est dessiné sans véritable dialogue avec l’EERV, alors que ses instigateurs disent vouloir travailler en complémentarité avec nous. Surtout, nous pensons que la formation doit être académique et critique, et qu’elle doit avoir lieu à l’université. Enfin, il y a des divergences d’ordre théologique: la future HET est clairement marquée par une couleur évangélique, et ses partisans la veulent «professante». Or, pour notre part, nous tenons à ce que les étudiants en théologie n’aient pas à souscrire à une confession de foi avant de commencer leur formation. Et ça ne nous dérange pas que, dans un cadre universitaire et à l’aune des sciences actuelles, Dieu fasse l’objet d’une étude serrée.
– Les artisans de la future école veulent mettre l’accent sur le caractère pratique de la formation. Une lacune dans le cursus actuel?
– Non, et c’est d’ailleurs la mission du stage pastoral et des cours de l’Office protestant de la formation des Eglises romandes. Office qui offre par ailleurs de multiples spécialisations pour les ministres appelés à travailler avec les jeunes, dans les hôpitaux ou dans les prisons. Sans oublier nos 42 diacres, qui sont des gens au bénéfice d’une première formation et d’une expérience de vie. La diversité des ministères est grande au sein de l’EERV.
– Y a-t-il toutefois risque que, si les étudiants privilégient la HET par rapport à l’université, l’Eglise vaudoise se retrouve en pénurie de pasteurs?
– Je ne le pense pas et j’ai le sentiment que la formation proposée par la HET représentera davantage une concurrence pour nos diacres que pour nos pasteurs. L’EERV, c’est aujourd’hui 228 postes, y compris les employés administratifs. A l’horizon 2025, ce chiffre sera réduit à 200. Même si, ces prochaines années, quelques pics de départs à la retraite seront difficiles à assumer pour les Eglises réformées romandes, il n’y a pas péril en la demeure.
David Richir, l’évangélique
– Quel sera le credo de la Haute Ecole de théologie de Saint-Légier?
– Nous mettons en place une école protestante, professante et professionnalisante. En d’autres mots, ouverte à tous les protestantismes, qui fait le lien entre le monde académique et la spiritualité, et qui forme des professionnels de terrain. Elle ouvrira en septembre 2017 sur le site qui accueille aujourd’hui l’Institut biblique et missionnaire Emmaüs, et ne touchera pas d’argent de l’Etat; nous tenons à conserver notre indépendance financière. Notre objectif, c’est de fournir à l’Eglise des gens qui ne sont pas forcément destinés à des études universitaires, mais qui pourront être très utiles à des communautés ou des paroisses. Nous avons notamment détecté, ces dernières années, un besoin de formation auprès des pasteurs issus de la migration.
– Sur quel titre la formation débouchera-t-elle?
– Notre plan d’études n’est pas encore complètement établi et nous œuvrons à son accréditation institutionnelle: nous voulons être reconnus sur le plan académique et visons le bachelor (trois ans, en principe) et, par la suite, les masters spécialisés. Surtout, nous mettrons l’accent sur le volet pratique de la formation; la HET sera une école connectée avec la société et formera des pasteurs qui pourront intervenir dans des contextes spécifiques, comme le domaine social ou la jeunesse. Et nous souhaitons offrir une plate-forme de dialogue entre l’Evangile et l’économie, ou l’Evangile et la politique.
– Dans les couloirs de l’université, on vous voit déjà en concurrents du cursus académique.
– On ne veut pas être en concurrence directe, mais offrir une alternative comme les HES le sont pour l’Université ou l’EPFL. Il est important de rappeler que ce projet est porté par des pasteurs évangéliques, mais aussi par des ministres réformés.
– Concrètement, les étudiants seront-ils amenés à prier pendant les cours?
– Oui, ils y seront invités mais resteront libres. L’idée est d’intégrer la dimension spirituelle aux études. La foi de l’étudiant n’est pas à cantonner dans sa vie privée, mais elle doit pouvoir se vivre dans le cadre académique aussi, pour ne pas déconnecter spiritualité et raison. A nos yeux, Dieu n’est pas objet d’études, mais sujet d’une relation. Cela dit, notre approche professante n’est pas dénuée d’esprit critique, nous ne mettrons pas notre cerveau au frigo. (Rire.). La HET sera ouverte à tous les étudiants qui manifesteront un esprit d’ouverture.
– Un athée pourra donc y entrer?
– Oui. Pas besoin de signer une confession de foi pour y étudier. Mais en tant qu’école professante, nous voulons porter une identité qui sera incarnée par les enseignants titulaires. (24 heures)
(Créé: 14.09.2015, 08h18)