L’affaire suscitait beaucoup d’émotion mercredi aux Etats-Unis, en raison du profond respect pour l’homme de 56 ans. Les médias ont diffusé des photographies le montrant invariablement souriant, étreignant sa femme ou entouré de ses deux enfants. Loué pour son humour et son esprit d’entraide, John Gibson faisait aussi l’unanimité chez ses collègues du New Orleans Baptist Theological Seminary, une institution quasi-centenaire réputée pour le sérieux de son enseignement.
Un milieu intellectuel où les piliers sont Dieu, le mariage et la famille. Mais le pasteur avait des démons peu avouables au sein de sa congrégation, qui l’ont fait céder à l’appel d’Ashley Madison : «La vie est courte. Prenez un amant», suggère le sulfureux site, dont la page d’accueil affiche l’image d’une femme à l’index posé sur ses lèvres, semblant ainsi garantir le secret.
Seulement voilà, le secret a été rompu par l’intrusion en juillet de pirates informatiques dans les serveurs défaillants de la société, dont le siège se trouve au Canada. Un groupe se faisant appeler «The impact team» a ensuite publié en août quelque 30 gigaoctets de fichiers contenant des millions de noms, comptes utilisateurs, courriels, etc. Dévoilant jusqu’aux préférences sexuelles de certains utilisateurs ! En France aussi le scandale a éclaboussé quelques utilisateurs.
Moins d’une semaine après, le 24 août, John Gibson mettait fin à ses jours.
«Démons intérieurs»
Dans un message rédigé avant son geste désespéré, le quinquagénaire a évoqué sa dépression et le fait d’avoir vu son identité apparaître parmi les utilisateurs d’Ashley Madison, a relaté à CNN sa veuve, Christi. «Il a mentionné avoir son nom (sur cette liste) et a confié être vraiment, profondément désolé», a déclaré la femme, en ajoutant que son époux redoutait de perdre son travail.
La triste fin du pasteur Gibson, fan de mécanique automobile et toujours prêt à dépanner ses copains, contraste radicalement avec son profil public d’intellectuel aimant rire: le professeur avait inventé la «danse Turabian», une chorégraphie humoristique du nom d’une universitaire de Chicago, Kate Turabian, auteure en 1930 d’un très austère manuel de rédaction de thèses académiques…
«Mon père était un homme remarquable. Un homme remarquable avec des démons intérieurs. Tout le monde en a. Chacun a ses failles», a lancé Trey Gibson, son fils, lors d’une cérémonie d’obsèques qui a été l’occasion d’une pluie d’éloges pour le pasteur.
Deux autres suicides pourraient liés au piratage du site
Le piratage d’Ashley Madison, qui se présente comme le «leader mondial des rencontres extraconjugales discrètes», a fait grand bruit fin août, et pas qu’en Amérique du Nord, notamment en raison de l’apparition de noms de quelques personnalités et du démasquage de milliers d’anonymes qui s’étaient enregistrés sans pseudonyme. Certains connus d’ailleurs pour professer des valeurs de fidélité maritale comme ce père de famille américain et youtubeur célèbre.
En écho aux «bien fait !» d’internautes moralistes ont résonné des critiques virulentes d’Avid Life Media, la société mère établie à Toronto. Mais la polémique se déroule désormais sur un terrain nettement plus dramatique. La police de Toronto avait déjà estimé que deux suicides, distincts de celui du pasteur, pourraient être liés au piratage du site. Parmi ces deux cas figure un policier de San Antonio (Texas).
«La mort du Pr. Gibson est un rappel brutal, bouleversant, que le piratage criminel dont ont été victimes notre société et nos clients a des conséquences bien réelles pour de très nombreuses personnes innocentes», a écrit Avid Life Media, dans un message transmis mercredi à CNN. Le scandale a déjà entraîné la démission du patron de la maison mère, mais d’autres batailles, judiciaires, liées aux conséquences de la fuite des données personnelles, restent à prévoir.
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