Le pasteur camerounais Dieunedort Kamden.Crédits : DR
« Si vous ne donnez pas 10 % à Dieu, le diable prendra 90 %. » La formule n’a pas de sens, qu’importe. Elle fait son effet sur le millier de fidèles en transe depuis une heure dans la cathédrale de la Foi, une église située sur les hauteurs de Yaoundé. A la queue leu leu, hommes, femmes et jeunes gens se dirigent vers l’autel où sont disposés quatre grands paniers en osier. Genou à terre, ils y introduisent un billet de banque, encouragés par les « félicitations » tonitruantes d’un chauffeur de salle. Nous sommes à la mi-novembre, et la bâtisse, un ancien hangar réaménagé, est déjà décorée aux couleurs de Noël. Le pasteur annonce, pour la fête de la Nativité, une grande campagne d’évangélisation à travers la ville « afin d’accueillir l’enfant-roi ».
Dieunedort Kamdem est un élégant, aux allures de dandy anglais. A 38 ans, l’homme, qui n’hésite pas à célébrer la messe vêtu d’un costume croisé rouge vif, jouit d’un statut de quasi-rock star dans la capitale camerounaise, où il écume les plateaux de télévision pour vanter les mérites d’« une Eglise décomplexée quant aux questions d’argent ». « La vraie Eglise de Dieu doit être un facteur de développement et de prospérité », soutient-il en recevant dans son vaste bureau, après le culte. « J’ai fondé la cathédrale de la Foi pour satisfaire un manque. Les cultes traditionnels sont gênés de parler de richesse, de biens matériels. Or, c’est tout aussi important que salut de l’âme. C’est pour cela que nos fidèles sont nombreux. »
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« Nous réalisons vraiment des miracles »
Né dans une famille animiste originaire de Baleng, dans l’ouest du Cameroun, le pasteur a trouvé la foi à l’âge de 11 ans, quand, « ensorcelé et déclaré cliniquement mort », il dit avoir ressuscité. L’adolescent se met alors à fréquenter des groupes de jeunesses du Renouveau charismatique, un « mouvement de réveil » basé sur une expérience personnelle, presque sentimentale, avec Dieu. Au grand dam de ses parents, il est consacré pasteur à 17 ans, après un diplôme de théologie à Fatbicam, la filiale locale d’une école fondée par le pasteur évangélique américain Don Hawkins.
Le pasteur est l’un des tout premiers Camerounais à avoir lancé les campagnes d’évangélisation à l’américaine dans son pays. De « grandes croisades » précédées par d’immenses campagnes d’affichage à travers la ville et diverses animations dans les médias. Une technique marketing qu’il dit avoir découverte lors d’un voyage au Brésil.
Le Cameroun, pays de 23 millions d’habitants, compterait près de 70 % de chrétiens. Selon des estimations difficilement vérifiables, près de la moitié d’entre eux seraient des « born again ». Depuis la fondation de la cathédrale de la Foi, il y a cinq ans, Dieunedort Kamdem revendique pour sa part plus de 10 000 fidèles tous les dimanches dans l’ensemble des 32 églises qu’il a ouvertes à travers le pays. « Notre particularité, c’est que nous réalisons vraiment des miracles », affirme-t-il sans sourciller.
Rares sont les ouailles réunies ce jour à pouvoir en témoigner. Joséphine M., propriétaire d’un magasin de prêt-à-porter confie avoir rejoint les rangs des fidèles en 2011, pour avoir un enfant. A presque 40 ans, elle attend toujours son miracle. « Ce n’est qu’une question de temps », assure Philomène Frida Bisseck en réajustant son foulard noué sur la tête. Veuve à 36 ans avec quatre bouches à nourrir, la jeune mère s’accroche à sa foi dans l’espoir de jours meilleurs.
« L’argent appelle l’argent »
Pour meubler l’attente, Dieunedort Kamdem, qui se présente auprès de ses fidèles ainsi que dans les médias locaux comme « le général de Dieu », a un credo simple : « L’argent appelle l’argent, plus une personne fait des dons plus elle en reçoit. » A la tête d’une véritable holding, la Kanodi Ministry Communication, le pasteur règne sur quatre stations de radio, un journal, une chaîne de télévision et une école de formation de pasteurs, la Faith Bible Institute, dont il est le doyen. Cent douze pasteurs, dont une dizaine de membres de sa famille, et 500 bénévoles sont entretenus par l’Eglise. Mais le montant des salaires reste secret. Le seul dont Dieunedort Kamdem accepte de parler, c’est le sien, « 400 000 francs CFA en moyenne » (600 euros). Soit sept fois et demi le revenu moyen dans la fonction publique au Cameroun.
On peine à le croire tant le mode de vie de l’évangéliste tranche avec les revenus qu’il déclare. Dans un pays où un quart de la population vit avec moins de 1 euro par jour, il collectionne trois voitures de luxe tout-terrain, ne cache pas ses « fréquents voyages en Europe et aux Etats-Unis ». Son épouse que tout le monde appelle la « first lady », avec qui il a quatre enfants, est, elle aussi, pasteur. Comme son mari, elle anime la messe en grandes toilettes.
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Sur les comptes de l’Eglise, le pasteur ne donne pas de chiffres précis mais esquisse un petit calcul à l’aide de l’iPad posé sur son bureau. « Nous avons 3 offices par semaine avec en moyenne 1 000 personnes à chaque fois. Imaginons que chacun donne ne serait-ce qu’une pièce de 100 francs, cela fait près de 15,6 millions de francs CFA par an (23 800 euros). Ce n’est pas beaucoup, vu les charges », dit-il, conscient que la somme réelle collectée est bien supérieure.
Population désespérée
Dieunedort Kamdem vend du rêve à une population désespérée par le chômage, qui avoisine les 30 % et des difficultés d’accès aux soins de santé. L’homme est télégénique, s’exprime bien et est doté d’un bon sens du marketing. « Il a une grande force de persuasion et vous fait croire que tout est possible. C’est peut-être vrai. Mais lui sait seulement le dire, souligne, acerbe, Jean-Claude Ondoa Bekono. Ce cadre d’une compagnie de téléphonie mobile à Yaoundé a rejoint l’Eglise du pasteur après une longue maladie. Même pour un simple conseil, il fallait faire une offrande. Je n’avais plus les moyens. »
Si les dons sont vivement encouragés, les fidèles doivent se garder d’en faire l’étalage sonore. Le tintement des pièces de monnaie dans les corbeilles dérangerait le Tout-Puissant. A l’aise avec ses contradictions, Dieunedort Kamdem « interdit formellement ce bruit, fait comprendre que c’est une insulte à Dieu et que cela porte malheur », affirme Jean-Claude Ondoa Bekono. Une consigne qui peut également pousser ses ouailles à ne déposer que des billets.
« J’ai conscience que l’idée de gérer une Eglise comme une entreprise peut gêner. Mais ce n’est que comme ça que l’on peut contribuer au salut des personnes », conclut le pasteur, contestant farouchement l’idée qu’il puisse se faire de l’argent sur le dos de ses fidèles. « Je suis un simple serviteur de Dieu », dit-il sous le regard protecteur de son officier de sécurité. Pourquoi a-t-il besoin d’être protégé par des gros bras ? « Je suis un général de Dieu, un ministre… »