Daniel Fatzer et Jean Chollet, les deux pasteurs de l’église lausannoise de St-Laurent ne sont pas peu fiers de leur dernière invention. Au coeur de la nef se dresse un petit salon convivial, ouvert à tous et en tout temps. Dans quelques jours, sous l’orgue, ils inaugureront le bar. «Nous cherchons à faire concurrence à Starbucks», plaisante Daniel Fatzer. Chacun est invité à franchir le pas de l’église, à venir s’y ressourcer et se réchauffer avec une boisson chaude.
«Nous sommes situés au coeur de la ville, dans une zone piétonne, nous voulons en faire profiter les gens», ajoute Jean Chollet. Les deux pasteurs vaudois propagent l’idée que le lieu n’est pas restreint aux croyants. «Contrairement à dehors où je dois être productif, dans l’église, je ne sers à rien. Je suis aimé par Dieu, je respire, je suis face à moi-même. Cela peut aider à se retrouver! Et il y a les rencontres aussi. Une église, c’est un endroit où je peux directement parler de choses essentielles, je n’ai pas à m’embarrasser de small talk».
À Lausanne, 29% de catholiques pour 17% de protestants
Il ne fait aucun doute pour les deux hommes de foi que le besoin spirituel est présent au coeur de la société, de façon permanente. Si la capitale vaudoise compte désormais plus de catholiques (29%) que de protestants (17%), c’est l’occasion de redynamiser la religion. D’un coup, Daniel Fatzer se lève et va placer une chaise devant le battant de l’église qui s’était rabattu. «C’est la grande lutte des portes», explique-t-il. «Il faut toujours qu’elles soient ouvertes: une église fermée, ça n’a plus aucun sens!»
Pasteurs trublions, spécialisés dans les coups d’éclats pascals, Daniel Fatzer et Jean Chollet animent l’église St-Laurent depuis cinq ans. Un binôme inventif et transgressif qui a eu envie de dépoussiérer l’endroit, abandonné par ses fidèles. Depuis, le sanctuaire est devenu un véritable laboratoire pour tester de nouveaux moyens de partager leur foi et leurs cultes attirent autant de fidèles que de curieux.
«Notre première action a été d’enlever les bancs!» Un dimanche après-midi «alors que la Maréchaussée dormait», ils arrivent avec une remorque et dégagent tout l’espace central. Ils déposent les bancs à la campagne. «Sauf qu’ils étaient classés monuments historiques, le conseil n’a pas aimé!», gausse l’un d’eux. Ils achètent ensuite des valises de jouets et durant les célébrations, invitent les enfants à s’installer au centre, sur le tapis rouge. «Ainsi, ils sont sages et ne dérangent pas», explique Daniel Fatzer. Depuis, les cultes attirent bon nombre de familles.
Sur les marches de l’église, des cercueils vides illustraient la résurrection
Un jour, c’était une carcasse de voiture que les pasteurs avaient déposée sur les marches de l’édifice, en référence aux cabossés de la vie. Un autre, une braderie de cercueils simulée par les deux hommes sur ce même escalier. «Si l’on suspend une grande banderole «Christ est ressuscité», tout le monde s’en fiche! Mais, alors, on expose des cercueils, disponibles depuis la Résurrection du Christ, alors là… les gens sont interpellés», sourit-il.
Parmi leurs recettes à succès, les «cultes événements» sont ceux qui rassemblent le plus. Le patron de Bobst est venu parler de sa foi devant l’assemblée, l’ancien conseiller national PDC Jacques Neirynck aussi. L’avocat Marc Bonnant a défendu Ève dans un procès fictif où les pasteurs jouaient les procureurs.
Le dimanche, Daniel Fatzer et Jean Chollet accueillent les paroissiens pour un petit-déjeuner, puis ils célèbrent le culte à deux voix. L’un porte la robe noire, pour le prêche, l’autre le tablier. «Le port de l’habit est polémique. C’est Luther qui exigeait que ses pasteurs soient issus de l’Université et qu’ils se vêtissent de la robe académique. Le tablier représente le service. C’est une forme de théâtre que la liturgie: on réfléchit à la façon d’occuper l’espace et de la rythmer.»
Jean Chollet est un homme de scène. Après ses études de théologie, il part à Paris où il intègre une école de théâtre. Il fonde ensuite la compagnie de la Marelle, puis dirige le Théâtre du Jorat à Mézières (VD) durant plus de vingt ans. Aujourd’hui, il anime l’Espace des Terreaux à Lausanne. Daniel Fatzer, son diplôme de théologie en poche, part, lui, sillonner les Etats-Unis: «je voulais comprendre les raisons pour lesquelles certaines églises grandissent!»
Supprimer l’idée du culte solennel
Depuis l’arrivée des deux hommes, le conseil synodal et celui des monuments historiques se sont régulièrement arraché les cheveux face à ces projets incongrus. Les lettres, les plaintes et les menaces d’expulsion sont presque devenues monnaie courante. «On a toujours dû être transgressif pour arriver à faire bouger les choses», explique Jean Chollet. «Face à nous, il y avait constamment cet étrange mélange d’amour haine ou d’enthousiasme trouille, plutôt».
Derrière les actes, une idée: il faut casser l’idée que le culte doit être solennel. «Pourquoi la religion est-elle synonyme de sérieux? C’est marqué où?», demande Daniel Fatzer. «Jésus, lui-même, était un grand blasphémateur. Alors que l’Ancien Testament dressait le portrait d’un Dieu sévère, Jésus s’est efforcé de bousculer les codes: ce n’est pas un hasard s’il choisit le jour du Sabbat pour guérir un paralysé. Pour lui, il n’y a plus de zone confinée où l’on est sous le regard de Dieu et une autre où l’on fait ce qu’on veut».
À St-Laurent, la Sainte Cène est célébrée par terre. Pour «renouer avec l’enfant qui est en soi et bénéficier de l’ancrage au sol qui est énergisant et libérateur». Pas de calice doré non plus; l’autre jour, Jean Chollet a béni le sang du Christ dans une bouteille de vin, tout simplement. Il racontait le dernier repas de Jésus et de ses disciples vu par les simples yeux d’un jardinier, témoin de l’événement, «pour revenir à un degré zéro de la Cène, retrouver ce qu’il y a derrière».
Des migrants à St-Laurent
Il y a un an, au milieu d’une célébration, six migrants venus d’Ethiopie et d’Erythrée, accompagnés de militants poussaient la porte de St-Laurent pour demander asile. Les pasteurs les ont placés au cœur de la célébration pascale et la salle de paroisse est devenue leur refuge. Depuis quelques mois, le conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée vaudoise leur demande de partir. «Aujourd’hui, l’endroit tend à devenir leur installation permanente et cela crée des soucis d’intendance», confie Jean Chollet. «Ils ont bénéficié d’une grande portée médiatique en occupant l’espace, on les incite désormais à réfléchir à un autre lieu».
Daniel Fatzer sera à la retraite dans dix-huit mois et deux ans plus tard, ce sera le tour de Jean Chollet. Comment faire perdurer l’esprit de ce lieu phare après leur départ? L’avenir de St-Laurent n’est pas de leur ressort, mais on leur a demandé de développer des projets similaires dans d’autres villes romandes. L’ami Jean et l’ami Daniel bousculent, choquent et gênent beaucoup de paroissiens. Mais ils le font au nom de leur foi, ces deux disciples que ce trublion de Jésus aurait pu aimer avoir.