Xavier Paillard dort bien, il nous remercie. Pourtant, depuis dix jours, le président du conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV) doit gérer une crise médiatique sans précédent, générée par un pasteur protestant contre son licenciement par une grève de la faim, et occupant l’église lausannoise de St-Laurent.
Le renvoi du pasteur Fatzer, après qu’il ait nommément cité un collègue licencié par l’Eglise lors d’un culte radiodiffusé le 12 juin, a fait l’objet de nombreuses critiques visant le ton cassant et l’autoritarisme du président. «Cela me touche, et c’est normal», admet Xavier Paillard. «Je concède que j’ai un franc parler, que j’ose dire ce que d’autres hésiteraient à formuler. Ma manière d’oser affronter l’adversité peut être perçue comme de l’entêtement mais cela traduit mal mon caractère». Son collègue Jean-Michel Sordet, membre du conseil synodal, le défend. «Xavier Paillard est un homme qui a du leadership et qui défend fermement son morceau. Il est décidé, parfois persévérant et zélé, mais il n’est pas autoritaire».
La confiance en valeur suprême
L’homme de 54 ans, père divorcé de trois enfants, place la confiance en haut de ses valeurs. Celle-là même qu’il donne à Daniel Fatzer et Jean Chollet en 2011, lorsqu’il décide, avec le conseil synodal, de leur confier l’Eglise St-Laurent. «Leur projet proposait des expérimentations novatrices de nouvelles formes d’Eglise. Cette créativité nous a séduits. Dans une institution reconnue, le rôle de provocateur peut être bon car nous avons besoin de têtes qui dépassent. Mais il faut éviter que la provocation ne devienne une écharde ou un obstacle pour les collègues».
Les pasteurs trublions se spécialisent en coups d’éclat. Un jour, une carcasse de voiture est déposée sur les marches de l’édifice, en référence aux cabossés de la vie. Un autre, une braderie de cercueils est simulée par les deux hommes sur ce même escalier. Mais rapidement, l’attitude des deux hommes a consisté à «rabaisser et critiquer les autres églises lausannoises», selon Xavier Paillard. «Une provocation au service d’un ego personnel plutôt que de l’Eglise, plus perturbatrice que motivante. Ca a été l’objet de nombreuses vexations et colères de la part d’autres pasteurs».
Aujourd’hui cette confiance est rompue, Xavier Paillard le regrette, et il n’y aura aucune forme de réintégration possible de Daniel Fatzer au sein de l’EERV. «Les choses ont assez duré. Il y a eu assez d’avertissements».
S’asseoir à une table de négociations
Allongé dans son lit depuis dix jours, au sein de l’église St-Laurent, le pasteur Fatzer demande la démission du président du conseil synodal. Jean-Michel Sordet défend encore son collègue. «Daniel Fatzer et Xavier Paillard, ce ne sont pas deux égos qui s’affrontent, mais un égo contre une décision collégiale. Une décision de renvoi qui a été claire, mettant un terme à un long processus». Lundi, le conseil synodal se réunira. Il faut trouver une solution, rapidement. «Certaines conditions peuvent être négociées», admet Xavier Paillard. «Mais cela nécessite la volonté de sa part de s’asseoir à une table de négociations. Or pour l’instant, je ne vois pas dans son attitude ce qui pourrait rétablir le lien et la confiance». Le groupe de soutien de St-Laurent église demande la mise en place d’une médiation externe à l’EERV et une instance de recours externe.
Quotidiennement, une cellule de crise suit les rebondissements de l’affaire Fatzer. Elle comprend cinq personnes, dont Xavier Paillard qui a suivi des cours de gestion managériale. Il fait également partie d’une équipe de soutien d’urgence qui accompagne les gendarmes lors d’annonces de décès aux familles. Comment faire part de sa foi, lorsque l’on est confronté à «l’innommable de la mort, qui plus est lorsqu’elle est accidentelle»? Cela le touche et le mobilise. Xavier Paillard avait douze ans lorsque l’une de ses deux sœurs aînées meurt en montagne. Il est en Faculté de théologie à l’Université de Lausanne lorsque sa petite sœur décède à son tour en montagne elle-aussi. Dans ces moments, à ses côtés, Dieu est un compagnon de route, un allié.
Xavier Paillard est profondément attaché au Protestantisme. Le prouvent ses années d’études au collège de St-Maurice, où il fait partie des trois seuls protestants parmi plus de mille élèves catholiques. Les valeurs des Réformés qu’il chérit le plus: le sacerdoce universel, la forte collégialité et la liberté de pensée. Ce n’est pas celle-ci qu’il sanctionne aujourd’hui chez Daniel Fatzer, mais des problèmes déontologiques, répète-t-il.