Alors que le pasteur Daniel Fatzer poursuit sa grève de la faim à Saint-Laurent, les critiques se multiplient contre l’institution. Les dirigeants de l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV) sont accusés d’autoritarisme. Cinq licenciements de pasteurs en deux ans et «des lettres dont le contenu fait froid dans le dos», selon l’expression de l’ancienne conseillère nationale Suzette Sandoz, tendent à le prouver.
Certaines phrases extraites des courriers du Conseil synodal ou de l’Office des ressources humaines (ORH), que nous nous sommes procurés, révèlent des rapports pour le moins tendus. Licencié en 2015, neuf mois après son épouse, l’ancien pasteur de Château-d’Œx, Bertrand de Felice, se voit mis en demeure par une lettre au ton comminatoire de «rendre les clés». Il lui est désormais interdit de «se présenter comme ministre de la paroisse et de porter sa robe de pasteur». Quant à Daniel Nagy, l’ancien pasteur de Gryon licencié en 2014, il écrivait au Conseil synodal en juillet 2015 pour lui proposer, dans un esprit de «pardon», de «régler les différends autrement que par la voie judiciaire». Ce dernier lui répond cinq jours plus tard par une douche froide: son courrier «dénote une confusion de niveaux».
Le pasteur M., licencié il y a quelques semaines, s’est vu soupçonné de tricherie dans un courrier daté d’avril 2015. «Vous êtes mécontent des décisions successives (…) et vous avez trouvé plus commode de vous faire délivrer un certificat qui présente toutes les apparences de la complaisance que de faire votre travail. Ce mode de faire est indigne de votre ministère», écrit le responsable de l’ORH. Le pasteur M. a déposé une plainte contre l’auteur de cette lettre. «S’agissant d’une profession telle que la mienne, de tels propos sont choquants, estime M. Ils m’ont blessé, déstructuré et aggravé l’état de ma santé.»
Daniel Fatzer s’est enflammé pour la cause de ces collègues licenciés. Avec son confrère Jean Chollet, il avait invité Daniel Nagy à faire une prédication à l’église Saint-Laurent en décembre 2014. Refus du Conseil synodal, qui interdit alors ladite prédication. S’ensuit un rectificatif dans la Newsletter de Saint-Laurent, précisant que «[les pasteurs] ont commis une erreur d’appréciation et de loyauté à l’endroit de l’Eglise en invitant Daniel Nagy». Daniel Fatzer a lui-même reçu des lettres au ton plutôt ferme: «La liberté d’opinion trouve ses limites dans le devoir de fidélité que vous avez à l’égard de votre employeur», lui écrit le Conseil synodal en 2015, qui lui signifie un «avertissement ultime».
«Justes motifs»
Les dossiers de ces pasteurs licenciés font aujourd’hui l’objet de recours en justice. Le procès aux prud’hommes de Daniel Nagy a débuté ce printemps, les autres suivront. «Nous contestons les méthodes du Conseil synodal et nous sommes indignés. Il fait preuve de violence et il oublie qu’il est le seul employeur, en tout cas le principal, pour des pasteurs dans le canton de Vaud», clame Daniel Nagy, qui a aujourd’hui retrouvé du travail à Fribourg.
Le Conseil synodal serait-il un employeur brutal et sans égard? Son président, Xavier Paillard, s’en défend (lire ci-contre). A l’entendre, les situations de ces ministres, toutes différentes, ont fait l’objet de discussions nombreuses et d’offres de médiation. En fin de compte, les licenciements ont été prononcés pour «justes motifs», différents selon les cas. Le pasteur Fatzer a commis une faute en citant nommément des personnes lors d’un culte radiodiffusé. Le pasteur Nagy a refusé les postes que lui offrait l’EERV. Pour les autres cas, la discrétion est de rigueur pour l’instant. Pas question en tout cas de décréter un «moratoire sur les licenciements» de ces pasteurs.
Et «l’amour du prochain»?
Xavier Paillard se défend d’être autoritaire. «A mon sens, précise-t-il, il ne faut pas confondre gentillesse ecclésiastique et amour du prochain. Celui-ci nous demande d’avoir des exigences envers soi-même comme envers les autres.»
Un observateur de l’Eglise vaudoise, extérieur aux instances, croit savoir que «ce n’est pas le Conseil synodal qui a commencé à hausser le ton et à envoyer des lettres au ton ferme et judiciaire, mais plutôt certains pasteurs. Cela ne favorise pas le dialogue.» Quoi qu’il en soit, «nous constatons bel et bien un durcissement et une difficulté d’écoute», s’inquiète Eric Bornand, président de la Ministérielle – l’association professionnelle des pasteurs. Les commissions de médiation et de traitement des litiges, confirmées par le Synode, devraient faciliter les choses à l’avenir. En attendant, l’EERV se retrouve avec une grève de la faim et plusieurs procès.
Extraits de courriers qui ont choqué
«Ce certificat (médical) nous plonge dans la perplexité. (…) Vous avez trouvé plus commode de vous faire délivrer un certificat qui présente toutes les apparences de la complaisance que de faire votre travail. Ce mode de faire est indigne de votre ministère»
Lettre du responsable de l’Office des ressources humaines (ORH) au pasteur M. du 30 avril 2015
«Votre courrier (…) a retenu toute notre attention. Il dénote malheureusement une confusion de niveaux (…) Nous ne sommes pas fâchés avec vous. Une démarche de pardon ne saurait résoudre les problèmes qui nous ont conduits à la présente situation»
Lettre de Xavier Paillard à Daniel Nagy, le 7 juillet 2015. Remercié en 2014, ce dernier proposait de «régler les différends autrement que par la voie judiciaire»
«Par la présente, nous vous mettons en demeure de rendre à la présidente du Conseil paroissial les clés (…) que vous avez encore à votre disposition (…) Nous vous faisons formellement interdiction de vous présenter désormais comme ministre de la paroisse et de porter votre robe de pasteur»
Lettre du Conseil synodal à Bertrand de Felice, le 29 avril 2015
«(…) Visiblement, vous ne parvenez pas à faire la différence entre ce qui est de l’ordre de la provocation et de celui de l’exercice de votre ministère»
Lettre du Conseil synodal à Daniel Fatzer, le 21 janvier 2015 (24 heures)
(Créé: 22.06.2016, 06h36)