Le pape demande aux prêtres de se laisser déranger

Des pasteurs sereins intérieurement mais qui se risquent au dehors et se salissent les mains sans compter. Dans son homélie à la messe clôturant le jubilé des prêtres, vendredi 3 juin, le pape François a dépeint le cœur qui doit habiter, selon lui, chaque pasteur.

Des milliers de prêtres sont venus du monde entier à Rome pour le jubilé.ZOOM

Des milliers de prêtres sont venus du monde entier à Rome pour le jubilé. / FILIPPO MONTEFORTE/AFP

Être un pasteur et non « un inspecteur ». Ne pas être un « comptable de l’esprit mais un bon samaritain à la recherche de celui qui a besoin ». Le pape François a multiplié les comparaisons et métaphores pour décrire au mieux les dispositions du cœur, à la fois libre et inquiet, qui doit battre en chaque prêtre. Son homélie de vendredi 3 juin peut se lire comme le portrait-type du pasteur que le pape souhaite pour son Église.

« Celui qui ne veut plus entrer par la porte »

Il l’a prononcée avec conviction place Saint-Pierre, devant une foule en aube blanche qui en remplissait la moitié. Des milliers de prêtres venus du monde entier à Rome pour le jubilé, dont la messe en la solennité du Sacré-Cœur de Jésus marquait la clôture. La veille, le pape leur avait livré trois longues méditations sur la miséricorde dans le cadre de l’Année sainte. Son homélie est comme un résumé de la manière d’être du pasteur qu’il a décrite à ces trois occasions.

Lire aussi  : Le pape enseigne la miséricorde aux prêtres en trois méditations

Comme la fête du Sacré-Cœur y invitait, le pape François a souligné les deux pôles qui doivent orienter le cœur de chaque prêtre : « le Seigneur et les gens », « vers Dieu et vers les frères », ou encore « le Tu de Dieu et le nous des hommes ».

A l’appui de l’évangile du jour sur la brebis égarée (Luc 15, 3-7), il a pressé les prêtres non seulement de tenir les portes de leurs églises ouvertes mais de sortir « à la recherche de celui qui ne veut plus entrer par la porte » : « (Le pasteur) désire rassembler les brebis qui ne demeurent pas encore avec (Dieu) ». Une invitation qui s’inscrit dans celle plus large d’aller aux périphéries existentielles des hommes, que Jorge Bergoglio ne cesse de lancer à son Église depuis le début de son pontificat.

« Heures de service »

Pour cela, le pape veut des prêtres qui se dépensent sans compter. Leur cœur « n’exige jamais de ne pas être dérangé ». À deux reprises dans son homélie, comme la veille dans ses interventions, il a insisté sur l’absence d’« heures de service » ou d’« horaires de travail » pour un pasteur.

Comme autres attitudes, il a mis en avant celle de « se salir les mains pour tous » et de tendre « la main en premier » – comme lui le fait avec tous ses interlocuteurs. L’attitude aussi de « corriger (…) toujours pour approcher », de ne pas « (gronder) celui qui laisse ou qui perd la route », de pardonner « avec une généreuse compassion » et de rendre « la dureté (…) étrangère ».

« La joie du prêtre »

Le pape François, qui s’était attardé lors d’une messe chrismale sur la légitime fatigue du prêtre, a reconnu que la « tristesse » pouvait être « passagère ». Mais l’auteur d’Evangelii gaudium et d’Amoris laetitia a surtout insisté sur « la joie du prêtre », « serein intérieurement ». « Il est heureux d’être un canal de miséricorde, d’approcher l’homme au Cœur de Dieu », a-t-il conclu en écho à son rappel, la veille, que tout prêtre serve de médiateur de la rencontre entre Dieu et les hommes.

Ce jubilé aura servi à rapprocher le pape François des prêtres, qui lui reprochent, comme il l’a reconnu à la fin de dernière méditation le 2 juin, d’être trop souvent dur envers eux. La fin de la messe de ce jour lui aura offert l’occasion d’être chaleureusement embrassé par beaucoup. Le pape Bergoglio, qui, la veille, leur avait recommandé d’avoir de l’humour, a bien ri au milieu d’eux. Son homélie comme ses trois autres interventions rendent compte toutefois de la haute exigence qu’il place en eux.

Sébastien Maillard (à Rome)

Le Pape François dresse le portrait type du prêtre Bon Pasteur

(RV) C’était la dernière étape du Jubilé des prêtres : en la solennité du Sacré Cœur de Jésus, le Pape François a présidé une concélébration eucharistique ce vendredi 3 juin dans la matinée, place Saint-Pierre, devant 6000 prêtres venus du monde entier et une petite foule de fidèles. Ce fut une nouvelle occasion pour lui de brosser le portrait idéal du prêtre selon le cœur de Jésus et de lancer quelques mises en garde. Avec le sens de la formule qui le caractérise, le Saint-Père a souligné que le prêtre « n’est pas un comptable de l’esprit ». « Gare aux pasteurs qui privatisent leur ministère », a-t-il lancé. Les précisions de Cyprien Viet

“Le bon pasteur accueille, inclut et ne méprise personne”, explique le pape dans son homélie du …

Texte original italien (*)

Le 3 juin 2016 dans la matinée, place Saint-Pierre, le pape François a présidé la messe du Jubilé des prêtres qui s’est tenu à Rome dans le cadre de l’Année de la miséricorde, à l’occasion du 160e anniversaire de l’institution de la fête du Sacré Cœur de Jésus. « Le cœur du prêtre est un cœur transpercé par l’amour du Seigneur », a souligné le pape dans son homélie ; pour cela, « il ne se regarde plus lui-même mais il est tourné vers Dieu et vers les frères ». Pour aider le cœur des pasteurs de l’Église « à brûler de la charité de Jésus Bon Pasteur », le pape François leur a proposé de s’entraîner à trois actions, suggérées par les lectures du jour (1) : « chercher, inclure et se réjouir ». Ainsi, le pasteur qui cherche selon le cœur de Dieu « ne défend pas ses propres aises » et n’est pas préoccupé « de conserver sa bonne réputation ». « Avec un regard aimable et un cœur de père, il accueille, il inclut… », a poursuivi le pape François, et « il ne méprise personne, mais il est prêt à se salir les mains pour tous ». « La dureté lui est étrangère, parce qu’il est pasteur selon le cœur doux de Dieu. » Nous publions l’homélie avant l’ajout des improvisations faites par le pape François.

La DC

Célébrant le Jubilé des prêtres en la solennité du Sacré Cœur de Jésus, nous sommes appelés à viser au cœur, c’est-à-dire à l’intériorité, aux racines les plus fortes de la vie, au noyau des affections, en un mot, au centre de la personne. Et aujourd’hui, nous tournons le regard vers deux cœurs : le cœur du Bon Pasteur et notre cœur de pasteurs.
Le cœur du Bon Pasteur n’est pas seulement le cœur qui a de la miséricorde pour nous, mais la miséricorde elle-même. Là resplendit l’amour du Père ; là je me sens sûr d’être accueilli et compris comme je suis ; là, avec toutes mes limites et mes péchés, je goûte la certitude d’être choisi et aimé. En regardant ce cœur, je renouvelle le premier amour : la mémoire du moment où le Seigneur m’a touché dans l’âme et m’a appelé à le suivre, la joie d’avoir jeté les filets de la vie sur sa Parole (cf. Lc 5, 5).

Le cœur du Bon Pasteur nous dit que son amour n’a pas de frontières, il ne se fatigue jamais et ne se rend jamais. Là nous voyons sa manière continuelle de se donner, sans limites ; là nous trouvons la source de l’amour fidèle et doux, qui laisse libres et rend libres ; là nous redécouvrons chaque fois que Jésus nous aime « jusqu’au bout » (Jn 13, 1), sans jamais s’imposer.

Le cœur du Bon Pasteur est penché vers nous, « polarisé » spécialement envers celui qui est plus distant ; là pointe obstinément l’aiguille de sa boussole, là se révèle une faiblesse d’amour particulier, parce qu’il désire rejoindre chacun et n’en perdre aucun.

Devant le cœur de Jésus naît l’interrogation fondamentale de notre vie sacerdotale : où est orienté mon cœur ? Le ministère est souvent rempli de multiples initiatives, qui l’exposent sur de nombreux fronts : de la catéchèse à la liturgie, à la charité, aux engagements pastoraux et aussi administratifs. Parmi tant d’activités demeure la question : où est fixé mon cœur, où pointe-t-il, quel trésor cherche-t-il ? Parce que dit Jésus – « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6, 21).

Les trésors irremplaçables du cœur de Jésus sont au nombre de deux : le Père et nous. Ses journées se passaient entre la prière au Père et la rencontre avec les gens. Le cœur du pasteur du Christ lui aussi connaît seulement deux directions : le Seigneur et les gens. Le cœur du prêtre est un cœur transpercé par l’amour du Seigneur ; pour cela il ne se regarde plus lui-même mais il est tourné vers Dieu et vers les frères. Ce n’est plus « un cœur instable », qui se laisse attirer par la suggestion du moment ou qui va çà et là en cherchant des consensus et de petites satisfactions ; c’est au contraire un cœur établi dans le Seigneur, captivé par l’Esprit Saint, ouvert et disponible aux frères.

Pour aider notre cœur à brûler de la charité de Jésus Bon Pasteur, nous pouvons nous entraîner à faire nôtre trois actions, que les lectures d’aujourd’hui nous suggèrent : chercher, inclure et se réjouir.

Chercher. Le prophète Ézéchiel nous a rappelé que Dieu lui-même cherche ses brebis (34, 11-16). L’Évangile dit, « il va chercher celle qui est perdue » (Lc 15, 4), sans se laisser effrayer par les risques ; sans délai il s’aventure hors des endroits du pâturage et hors des horaires de travail. Il ne renvoie pas la recherche, il ne pense pas « aujourd’hui j’ai déjà fait mon devoir, je m’en occuperai demain », mais il se met tout de suite à l’œuvre ; son cœur est inquiet tant qu’il n’a pas retrouvé cette unique brebis perdue. L’a-t-il trouvée, il oublie la fatigue et il la charge sur ses épaules tout content.

Voilà le cœur qui cherche : c’est un cœur qui ne privatise pas les temps et les espaces, il n’est pas jaloux de sa légitime tranquillité, et il n’exige jamais de ne pas être dérangé. Le pasteur selon le cœur de Dieu ne défend pas ses propres aises, il n’est pas préoccupé de conserver sa bonne réputation, au contraire, sans craindre les critiques, il est disposé à risquer même d’imiter son Seigneur.

Le pasteur selon Jésus a le cœur libre pour laisser ses affaires, il ne vit pas en tenant les comptes de ce qu’il a et des heures de service : il n’est pas un comptable de l’esprit, mais un bon samaritain à la recherche de celui qui a besoin. C’est un pasteur, non un inspecteur du troupeau, et il se dévoue à la mission non à cinquante ou soixante pour cent, mais avec tout lui-même. Allant à la recherche, il trouve, et il trouve parce qu’il risque, il ne s’arrête pas après les déceptions et il ne se rend pas dans les fatigues ; il est en effet, obstiné dans le bien, oint de la divine obstination que personne ne se perde. Pour cela, non seulement il tient les portes ouvertes, mais il sort à la recherche de celui qui ne veut plus entrer par la porte. Comme tout bon chrétien et comme exemple pour tout chrétien, il est toujours en sortie de soi. L’épicentre de son cœur se trouve hors de lui : il n’est pas attiré par son moi, mais par le « Tu » de Dieu et par le « nous » des hommes.

Inclure. Le Christ aime et connaît ses brebis, il donne sa vie pour elles et aucune ne lui est étrangère (cf. Jn 10, 11-14). Son troupeau est sa famille et sa vie. Il n’est pas un chef craint par les brebis, mais il est le pasteur qui marche avec elles et les appelle par leur nom (cf. Jn 10, 3-4). Et il désire rassembler les brebis qui ne demeurent pas encore avec lui (cf. Jn 10, 16).
Ainsi également le prêtre du Christ : il est oint pour le peuple, pas pour choisir ses propres projets, mais pour être proche des gens concrets que Dieu, par l’Église, lui a confiés. Personne n’est exclu de son cœur, de sa prière et de son sourire. Avec un regard aimable et un cœur de père, il accueille, il inclut et, quand il doit corriger, c’est toujours pour approcher ; il ne méprise personne, mais il est prêt à se salir les mains pour tous. Ministre de la communion qu’il célèbre et qu’il vit, il n’attend pas les salutations et les compliments des autres, mais il tend la main en premier, rejetant les bavardages, les jugements et les venins. Il écoute les problèmes avec patience et il accompagne les pas des personnes, accordant le pardon divin avec une généreuse compassion. Il ne gronde pas celui qui laisse ou qui perd la route, mais il est toujours prêt à réinsérer et à calmer les querelles.

Se réjouir. Dieu est « tout joyeux » (Lc 5, 5) : sa joie naît du pardon, de la vie qui renaît, du fils qui respire à nouveau l’air de la maison. La joie de Jésus Bon Pasteur n’est pas une joie pour soi, mais c’est une joie pour les autres et avec les autres, la vraie joie de l’amour. C’est aussi la joie du prêtre. Il est transformé par la miséricorde qui donne gratuitement. Dans la prière il découvre la consolation de Dieu et il expérimente que rien n’est plus fort que son amour. Pour cela, il est serein intérieurement, et il est heureux d’être un canal de miséricorde, d’approcher l’homme au Cœur de Dieu. La tristesse pour lui n’est pas normale, mais seulement passagère : la dureté lui est étrangère, parce qu’il est pasteur selon le cœur doux de Dieu.

Chers prêtres, dans la célébration eucharistique nous retrouvons chaque jour notre identité de pasteurs. Chaque fois nous pouvons faire véritablement nôtre ses paroles « ceci est mon corps offert en sacrifice pour vous ». C’est le sens de notre vie, ce sont les paroles avec lesquelles, dans un certain sens, nous pouvons renouveler quotidiennement les promesses de notre ordination. Je vous remercie pour votre « oui » à donner la vie, unis à Jésus : là se tient la source pure de notre joie.

(*) Version française de la Salle de presse du Saint-Siège. Titre de La DC.
(1) Les lectures de la messe en la fête du Sacré Cœur de Jésus étaient les suivantes : Ez 34, 11-16 ; Ps 22 ; Rm 5, 5b-11 ; Lc 15, 3-7.

« Bureaucrates de la foi » ou « pasteurs de miséricorde »

Après le jubilé des Diacres le week-end dernier, place au jubilé des Prêtres et des séminaristes du monde entier qui ont interrompu leurs activités pastorales ou études pour rejoindre Rome par milliers et se ressourcer autour du Pape du 1er au 3 juin. Le Saint-Père a prévu pour eux deux rendez-vous majeurs : une retraite spirituelle, toute la journée de demain, et une grand messe, le lendemain, 3 juin, place Saint-Pierre, en la fête du Sacré-Cœur – instituée il y a 160 ans – et Journée mondiale de prière pour la sanctification des prêtres.

Le Pape toujours avec eux

Le pape François « donne beaucoup de conseils pratiques aux prêtres, connaît bien les aspirations, les peines, les souffrances et les joies qui sont dans leurs cœurs », c’est donc avec « beaucoup de joie » qu’il leur ouvrira une fois de plus son cœur de « Bon pasteur », a déclaré sur les ondes de Radio Vatican, Mgr Jorge Carlos Patron Wong, secrétaire pour les séminaires de la Congrégation pour le clergé. Un seul thème « Le prêtre, ministre de la Miséricorde » pour trois méditations en trois lieux différents : basilique Saint-Jean-de-Latran, Sainte-Marie-Majeure et Saint-Paul-hors-les-murs.

Pour les ressourcer

Durant ces trois journées, chaque prêtre ou séminariste est invité à se concentrer sur l’Amour miséricordieux du Père, un Amour qui « transfigure, change, remue et comble de joie » dont « ils sont les premiers bénéficiaires » et qu’ils doivent prendre le temps de « contempler » pour le rendre au quintuple en le répandant autour d’eux. « C’est une fois de plus une grande occasion pour nous renouveler, pour sentir à nouveau sur nous cette bonne odeur du Bon Pasteur, la partager avec notre peuple, pour recevoir l’Esprit Saint et renouveler nos forces, notre courage, notre enthousiasme et  être plus proches de tous », a expliqué Mgr Patron Wong. Une occasion de plus pour leur rappeler qu’ils ne sont pas des « bureaucrates de la foi », mais des « pasteurs de miséricorde ».

Lors de sa visite pastorale à Florence, en novembre dernier, le Pape avait appelé à un nouvel « humanisme chrétien, populaire, humble, généreux, heureux », à « l’image de Don Camillo, le célèbre curé de Giovanni Guareschi », commentait par la suite notre confrère de la rédaction italienne d’Aleteia, Gelsomino Del Guercio. Le prêtre du troisième millénaire, selon François, doit être « ouvert à tous les hommes, confesseur, et évangélisateur patient », un pasteur avec l’odeur des brebis » sur lui. Au cours de la messe chrismale, le 24 mars dernier, il invitait encore les prêtres à ne pas avoir peur « d’exagérer » dans leur miséricorde, un domaine où le Seigneur, a-t-il rappelé, « exagère toujours » et qu’ils doivent imiter.

Et ce n’est pas fini…

Mais après ces trois jours, le jubilé des Prêtres ne s’arrêtera pas là. Au diapason de Rome, le Sanctuaire de Lourdes en organisera un les 4 et 5 juillet prochains. Cette fois-ci sous forme de colloque international intitulé « Le prêtre, témoin de la miséricorde » et présidé par le cardinal Stella, Préfet de la Congrégation pour le clergé.

Dietrich Bonhoeffer, pasteur martyr

Dietrich Bonhoeffer (1906-1945) est l’un des plus grands théologiens du XXè siècle. Pasteur luthérien, ce résistant fut exécuté le 9 avril 1945 à l’âge de 39 ans dans un camp de concentration nazi, après une longue période d’emprisonnement. Penseur reconnu, il fut aussi un homme d’engagement. Jusqu’au bout, par fidélité et conviction, il s’est fait le témoin d’un amour qui le précédait. Il est pourtant né dans une famille de la haute-bourgeoisie allemande, un milieu d’intellectuels, de médecins ou de juristes, où le protestantisme était plus culturel plus que fervent. Sa volonté de se tourner vers la théologie et de devenir pasteur répondait à une conviction, celle que l’Eglise va mal. Et à une volonté, celle de la réformer.

Plusieurs dates ont marqué sa vie. La rencontre avec le pasteur français Jean Lasserre (1908-1983) au début des années 1930, aux Etats-Unis, a été décisive. Cet homme lui a fait découvrir notamment le sens du Sermon sur la Montagne. Un passage de l’Evangile (Mt, 5) qui lui inspira le texte “Vivre en disciple” où il livre une réflexion sur l’extraordinaire de l’appel évangélique. Il était alors directeur du Séminaire de formation théologique et pastorale de l’Eglise confessante en Allemagne, à Finkenwalde. Son enseignement fut fortement imprégné de sa vision de l’appel à suivre le Christ, non hors du monde, mais bien en son coeur, même si cet appel est protestataire.

Quand il a rejoint les rangs de l’Eglise confessante, Dietrich Bonhoeffer était encore un tout jeune homme. Ce mouvement de résistance au nazisme s’était initialement créé pour protester contre le renvoi de l’Eglise des pasteurs d’ascendance juive. Il s’agit d’un courant au sein de l’Eglise protestante mené par Martin Niemöller (1892-1984), un leader célèbre à l’époque qui fut emprisonné en camp de concentration de 1937 à 1945. L’Eglise confessante avait décidé de créer des séminaires pastoraux, pour former des jeunes à la théologie, avec un fort esprit de résistance.

Dietrich Bonhoeffer, martyr protestant? Rapidement la Gestapo s’est méfiée de ce résistant issu d’une famille profondément pacifiste et d’un milieu opposé depuis la première heure à Hitler. Arrêté puis exécuté au camp de concentration de Flossenbürg le 9 avril 1945, il n’aurait sans doute pas aimé qu’on le qualifie de marytr protestant. “C’est un peu le cas“, considère pourtant Henry Mottu. Il faut dire que l’Eglise allemande après la guerre a longtemps refusé de le considérer comme tel. Il a fallu du temps pour le réhabiliter dans les années 60, tout comme il a fallu du temps à l’Allemagne pour réhabiliter peu à peu les mouvements de résistance anti-nazis.

Les églises baptistes ne blâment pas Guillot

Troublée par les révélations découlant de l’arrestation du pasteur baptiste Claude Guillot, accusé d’avoir maltraité et séquestré au moins cinq jeunes fidèles à Québec et à Victoriaville, l’Association d’églises baptistes évangéliques au Québec (AEBEQ) émet neuf recommandations afin d’éviter qu’un tel drame ne survienne à nouveau… mais ne blâme absolument personne pour les gestes passés.

Lorsque Claude Guillot a été arrêté en décembre 2015 pour avoir imposé des sévices à cinq garçons dans les années 80 et 2000, Le Journal avait révélé que de hauts dirigeants de l’AEBEQ savaient depuis des années que l’accusé avait un comportement dictateur et violent.

Guillot avait été congédié dans les années 80 d’une école baptiste de Victoriaville pour avoir frappé au moins un enfant à coups de palette en bois lorsqu’il était directeur. Il avait toutefois été accueilli à Québec, où il a été formé comme pasteur avant de prendre la tête en 1990 de l’église Québec-Est (voir encadré).

« Maladresse et négligence »

À la suite des révélations du Journal, l’AEBEQ a entamé une enquête interne. Une quinzaine d’individus ont été rencontrés durant quatre mois. Conclusion? Les démarches menées à l’époque concernant les agissements de Claude Guillot n’ont pas été faites en «profondeur»… mais tous ont agi de bonne foi.

«Il n’y a pas de responsabilité basée sur une malversation ou une mauvaise intention ou dans le but de cacher. Ce n’est pas ça qui ressort. C’est des maladresses, des oublis, de la négligence», explique Normand Charest, président du conseil d’administration de l’AEBEQ.

« Pas outillée pour enquêter »

Ce faisant, la seule personne à blâmer serait Claude Guillot, qui fait déjà face à la justice et qui doit revenir en cour aujourd’hui. M. Charest reconnaît toutefois que le comportement de l’ancien pasteur et le manque de suivi de son organisation ont eu des conséquences néfastes chez les victimes alléguées. Il s’en dit «attristé au plus haut point».

Il reconnaît tout de même que son organisation n’était pas outillée adéquatement pour enquêter sur les «rumeurs» entourant le comportement du pasteur. «La seule chose qui a été faite, c’est de rencontrer la personne qui faisait l’objet d’allégations. On n’a jamais fouillé autour ni à la source», dit-il.

À l’avenir donc, les antécédents des futurs pasteurs feront l’objet d’enquêtes et ceux-ci auront des mentors.

M. Charest recommande aussi la mise en place d’une plate-forme pour traiter les plaintes devant un comportement inadéquat.

LA SAGA CLAUDE GUILLOT

  • 1984: Il est congédié par l’AEBEQ d’une école baptiste de Victoriaville pour avoir battu des élèves.
  • 1990: Il devient pasteur de la nouvelle église baptiste Québec-Est, dans la capitale.
  • 1993: L’AEBEQ est informée de l’intransigeance, de l’esprit sectaire et du contrôle excessif de Guillot.
  • 1999: L’AEBEQ entend des «rumeurs» selon lesquelles il disciplinerait physiquement des enfants.
  • 2003: Le pasteur quitte de lui-même l’AEBEQ et poursuit ses activités de façon indépendante à Québec-Est.
  • 2015: Il est accusé de voies de fait, de voies de fait armées, de voies de fait causant des lésions et de séquestration envers cinq garçons pour des gestes posés entre 1983 et 2014, à Québec et à Victoriaville.