Jacques Neirynck
Après 23 jours, le pasteur Daniel Fatzer vient d’interrompre sa grève de la faim, sans avoir obtenu la réintégration des pasteurs licenciés par le Conseil Synodal, à commencer par lui-même. Tout en se gardant de s’immiscer et de trancher dans un conflit interne à une Eglise, à laquelle je n’appartiens pas, on peut saisir cette occasion pour réfléchir aux rapports entre l’Etat de Vaud et les Eglises. Quelle est la raison qui justifie le subside accordé par le pouvoir politique à une organisation religieuse ? La coutume sans doute. Mais cette habitude tombe en déshérence. Eglises et temples sont de moins en moins fréquentés. Il suffirait de temporiser dans la situation actuelle pour entrevoir un temps où les fidèles constitueront une si petite minorité que l’Etat n’y prêtera même plus attention. Dans ce canton de Vaud, il y a plus de citoyens sans appartenance religieuse que de fidèles dans l’EERV.
L’Etat verse 60 millions de francs en 2014 aux Eglises réformée et catholique vaudoises, qui se les répartissent. Une somme qui représente moins de 0,7 % du budget de l’Etat. Avec 34,5 millions de francs, l’EERV couvre notamment les salaires des ministres et la formation. Le canton est propriétaire des cures. Et les communes entretiennent leurs églises. Ainsi, l’Etat assure la tradition de ces institutions, tout comme il maintient l’existence de théâtres, d’orchestres, de musées. Au regard de la loi, les Eglises remplissent une fonction sociale en perpétuant une tradition spirituelle, qui soutient maintes personnes dans les difficultés. Bien évidemment cette activité d’ordre culturel ne peut s’exercer sous le contrôle de l’Etat. Les ministres du culte, comme les écrivains, les journalistes, les enseignants, jouissent de la liberté de parole. Même si celle-ci n’est pas absolue, ses limites sont très larges.
Le conflit entre le Conseil Synodal et plusieurs pasteurs licenciés provient du mécanisme de subsidiation. Les pasteurs et les prêtres sont les employés de leurs Eglises et non de l’Etat. Jusqu’en 2007, les pasteurs dépendaient directement de l’Etat. Depuis, celui qui paie est devenu le maître. Autant l’Etat se gardait comme la peste d’intervenir dans la prise de parole des ministres du culte, autant les organes dirigeants des Eglises sont tentés de le faire. Il faut d’urgence revenir au statut d’avant 2007. Les subsides consentis aux Eglises n’ont pas pour but de permettre une censure interne.
Car la Réforme a surgi précisément comme refus du centralisme romain. La multiplicité des Eglises réformées et l’absence d’un double du pape permettent une diversité et une liberté, qui devraient caractériser les chrétiens. Ils ne vivent pas tous dans les mêmes conditions, ils n’ont pas tous les mêmes traditions, ils disposent de conceptions du monde différentes. La foi religieuse ne peut se transmettre qu’en s’adaptant à cette divergence culturelle. C’est bien la tâche que s’était attribuée les pasteurs de l’église Saint Laurent à Lausanne : aller à la rencontre des gens pour les rencontrer là où ils se trouvent et non pas là où l’on suppose qu’ils devraient être.
L’Eglise catholique (dont je suis) a grand besoin d’Eglises réformées pour encourager sa rénovation. Ainsi, en instituant des femmes pasteurs, le protestantisme a démontré qu’il est concevable et souhaitable de consacrer des femmes prêtres. De même, en utilisant les langues vernaculaires plutôt que le latin, la Réforme a entrainé le même mouvement pour l’Eglise catholique.
A l’invitation des pasteurs de Saint Laurent, j’ai pu animer un culte dont j’avais choisi les lectures parmi l’oeuvre des écrivains de langue française, plus accessibles, plus parlants, plus proches de nous que le prophète Isaïe ou l’apôtre Paul. Cela ne m’avait jamais été proposé auparavant. Ce qui vient de se passer me fait craindre que cela ne se passera plus jamais. Et qu’un jour l’objet du litige lui-même, le salaire d’un pasteur transitant par une caisse synodale deviendra obsolète.