Au début, Ariane Baehni et la religion ne partaient pas forcément copains. Née à Morges en 1961, elle vit au travers du mariage de ses parents – une bonne catholique espagnole dont le père a été fusillé durant la guerre civile et un gérant immobilier issu de la vieille tradition protestante vaudoise – l’implacable difficulté des unions mixtes. Dans son cas, cela se traduit par une grand-mère qui menace de ne pas venir au mariage, tandis que le baptême réformé de la jeune fille entraîne automatiquement l’excommunication de sa mère.
A première vue, rien ne prédestinait la jeune gymnasienne du Belvédère à devenir ministre de Vallorbe. Entre ses deux cultures familiales, Ariane Baehni trouve d’abord ce qu’elle appelle aujourd’hui «une porte de sortie» et se passionne pour l’ésotérisme. Pas de quoi faire tourner des guéridons et parler aux défunts. Mais en tout cas le temps de comprendre «l’ouverture à la dimension de l’invisible et de la transcendance. C’est une dimension à aborder avec respect. Ce n’est pas un jeu.» Elle remplit sa bibliothèque de bouquins de mythologie grecque (ses enfants s’appelleront Agnès et Ulysse) et opte pour des études en HEC: «Parce que c’était ce qui me permettait d’être rapidement indépendante. A l’époque c’était un enseignement pratique, diversifié, qui formait les employés des PME de la région.»
Cheveux blonds, joviale, le sourire facile et la voix posée qui donne confiance, Ariane Baehni grimpe les échelons en talons aiguilles. Elle sera cadre à l’Office du tourisme de Lausanne, puis chargée de com de sa faculté, avant de devenir responsable régionale d’Imholz Voyages, feu numéro trois du tourisme suisse.
Révélation tardive
La vie d’Ariane Baehni a changé un soir, chez elle, seule sur son canapé à Romainmôtier. «C’est peut-être la crise de la quarantaine, vous savez, quand on se rend compte qu’on n’est pas immortel. J’ai soudain ressenti quelque chose de très difficile à décrire, une sorte de révélation. Et non, je n’avais rien fumé, rit-elle. C’était comme si j’étais aimée inconditionnellement. En fait je priais souvent jusqu’à ce jour, mais sans vraiment savoir qui.» Bonne cartésienne, elle consulte un psy, un curé et un pasteur. C’est le troisième qui l’emporte: «J’ai hésité à rentrer chez les bonnes sœurs, mais je ne remplissais pas les critères. Et ma famille est trop importante pour moi. En fait, je crois surtout à la fidélité à la tradition dans laquelle on vit, au système religieux fondamentalement en lien avec notre société. C’est ce que dit le dalaï-lama: il fait peu de sens de faire du yoga à Pompaples.». Si Ariane Baehni réussit bien ses prêches, c’est notamment parce qu’elle a le sens de la formule.
Pasteur n’est pas un métier comme les autres. Il y a le secret professionnel, et Ariane Baehni est intransigeante là-dessus. A Vallorbe, elle fait face aux récits des migrants du centre pour requérants d’asile de la Confédération. Ils fréquentent le temple, racontent des horreurs qui font «douter de l’humanité». Le soir, Ariane Baehni rentre chez elle et dit simplement que «la journée a été difficile», avant de dévorer un épisode de Broadchurch ou de Game of Thrones.
En analyste marketing confirmée, Ariane Baehni a développé son propre indice d’autoévaluation. Elle ne juge pas sa semaine au taux de remplissage du vaste temple de Vallorbe dont la fréquentation est, comme partout, en berne, à l’exception notable des cérémonies funéraires. Elle compte plutôt «le nombre de personne qui m’ont fait confiance». Car le ministère de la Cité du fer, c’est beaucoup d’accompagnement. «Ici, les gens s’échappent moins facilement qu’ailleurs par la consommation. Ils se parlent.» Si elle regrette sa reconversion? «Absolument pas, je me sens enfin à ma place. Dans ce village il y a de la solidarité, une capacité d’accueil et du courage. Ces gens me touchent comme je n’ai jamais été touchée. Il y a des graines de paradis ici.» (24 heures)
(Créé: 11.07.2016, 10h00)