Vous mettez en scène la mort, la sexualité, la vie de couple, on vous voit danser comme une groupie, vous mettre en colère, imaginer Dieu en femme et montrer Adam et Eve dans un paradis de pacotille… Vous n’avez aucun tabou?
Ce sont tous des sujets qui me semblent importants, qui font partie de la vie et des questions que les gens se posent.
Quand on pense pasteur, on pense morale. Avec vous on en est loin. Quel est votre chemin à vous?
Ma sensibilité spirituelle est amoralisatrice car je crois en un Dieu d’amour. Nous sommes là pour faire réfléchir, pour poser des questions et montrer que certaines questions n’ont pas de réponse, ou des réponses multiples, car le monde est multiple, divers. Et si le monde a été créé ainsi, cela dit quelque chose de Dieu. Comme je crois en un Dieu bon, j’imagine que cette diversité est bonne et qu’elle a quelque chose à nous enseigner.
Que nous enseigne-t-elle?
Que l’amour, c’est l’accueil inconditionnel de l’autre dans son altérité. Je me réjouis de la diversité du monde, à l’opposé d’une uniformisation à laquelle je ne crois pas et qui serait dangereuse. C’est parce que l’autre est différent, qu’il m’aide à élargir mes horizons. L’autre m’aide à goûter un peu de l’infini.
Votre audience ne fait que croître. Mais ne recevez-vous pas aussi des courriers incendiaires?
Plutôt que des critiques, nous avons des remerciements! Je n’ai jamais reçu directement de message désagréable. Sur Facebook, il y a bien sûr parfois des critiques, et c’est normal, cela fait partie du dialogue. Nous n’effaçons que les messages insultants. Dans leur immense majorité, les gens sont reconnaissants que nous montrions que les pasteurs sont des gens comme les autres, avec une vie privée, des problèmes domestiques ou de couple. Cela les encourage à me parler, à me faire confiance.
Vous êtes très présente sur les réseaux sociaux. S’agit-il de reconquérir une audience que l’Eglise a perdue?
Non, ce n’est pas un «truc» pour ramener les brebis dans la bergerie! C’est juste un outil de notre temps pour amener une parole différente, d’ouverture et de tolérance, véhiculer des valeurs du mieux vivre ensemble.
Jadis, l’Eglise envoyait des pasteurs en mission. Etes-vous une missionnaire du web?
Ma mission n’est pas de convertir quiconque, mais d’amener plus de compassion et de lumière chez l’autre et peut-être de donner le désir de la quête spirituelle et humaine du sens.
Les autorités ecclésiastiques vous laissent-elles faire en tremblant ou vous apportent-elles leur appui?
Tout est parti d’une journée ou nous avons partagé ce que nous faisions. Nous avions déjà derrière nous de nombreux épisodes de notre série «Bienvenue chez nous» (réd: une série où Carolina et Victor Costa jouent un couple, mais où elle n’est pas pasteure, et qui compte déjà 104 épisodes, la 6e saison démarre). Victor a présenté l’idée de nous mettre en scène dans une nouvelle série où nous jouerions cette vie particulière d’un couple où la femme est pasteure.
Et les Eglises ont été d’accord?
Oui. Cela a vivement intéressé le chargé de communication de l’Eglise réformée vaudoise. Nous avons présenté le projet à tous les autres. Et à notre grande surprise, les Eglises romandes ont décidé de se risquer à l’exercice. Cela montre qu’elles sont dans un processus de renouvellement. Et l’Eglise réformée neuchâteloise a été parmi les premières à nous suivre! Désormais, c’est au tour de la Suisse alémanique, dont les Eglises ont financé le doublage de la série en allemand.
Vous vous situez clairement dans la marge ultra-progressiste de l’Eglise réformée, ce que vous faites ne doit pas plaire à tout le monde. Pas de remarques acerbes de vieux paroissiens conservateurs?
Ce que je fais ne plaît certainement pas à tout le monde. Mais vous savez, il y a aussi des choses qui ne sont pas de mon goût ou de ma sensibilité dans l’Eglise. Et alors? Tant mieux! Chacun doit pouvoir avoir sa place, vivre sa foi selon sa sensibilité et son expression. Je me réjouis de cette diversité. Je suis pour la cohabitation, l’Eglise est multiple, comme le monde l’est.
Votre série fait un grand usage du second degré, de la satire, de l’humour. N’est-ce pas en contradiction avec la religion?
Je ne fais que suivre mon maître. Jésus a beaucoup utilisé l’humour pour faire passer son message. Lorsque je dis quelque chose avec humour, ce que je fais parfois malgré moi, je remarque que les vérités passent mieux. Car avec l’humour on peut faire passer un message et en même temps on dit à ceux qui nous écoutent: «Je vous aime bien.»
En utilisant web, le média de la jeunesse, visez-vous en priorité le public jeune? Ne sacrifiez-vous pas au «jeunisme»?
Je suis jeune aussi, je suis de cette génération. J’ai d’ailleurs accepté un nouveau ministère auprès des jeunes adultes (18 à 39 ans) à Genève, dans une paroisse que nous avons appelée «le Lab», pour «laboratoire de recherche et d’exploration de nouvelles manières de vivre sa foi pour les jeunes générations». Le web est notre langage et notre univers ordinaire. C’est comme ça. Ne pas l’utiliser serait ne pas être relié à cette génération. J’exerce le ministère de ma génération, en somme. L’Eglise de demain c’est celle que les jeunes font aujourd’hui.
Depuis que vous jouez dans cette série, la fréquentation à vos cultes a-t-elle augmenté?
Oui et non. Ce qui a surtout changé, c’est l’audience plus grande (réd: lire l’encadré) et la confiance plus rapide que m’accordent les gens. Le rayonnement est beaucoup plus large que celui que l’on peut avoir en officiant dans une paroisse. Sans compter les médias. Plusieurs journalistes m’ont confié être ravis d’avoir à disposition un interlocuteur nouveau pour ces questions.
INFO +
Toutes les infos et liens sur:
www.mafemmeestpasteure.ch
La série pourra être visionnée dans le camion des 500 ans de la Réforme, à Neuchâtel le 9 novembre, en français et en allemand, avec sous-titre en anglais.
belle audience
L’audience cumulée de la série sur Youtube depuis son démarrage en février 2015 est de 288 200 vues. Chaque épisode a été vu entre 15 000 et 25 000 internautes. Le nombre d’abonnés, selon le décompte de Youtube, reste modeste: 745. Mais ces chiffres ne reflètent pas la réalité. La série est aussi diffusée par l’intermédiaire de Facebook, où chaque épisode est vu entre 50 000 et 60 000 fois. Sans compter les audiences glanées à partir d’autres sites. A la louche, on peut estimer que chaque épisode de «Ma femme est pasteure» est visionné dans les 100 000 fois.
contexte
Carolina Costa exerce à Genève, à mi-temps, le ministère de pasteure. Une vie qu’elle partage avec celle de comédienne, où elle joue de manière décalée son propre rôle dans une série diffusée sur internet qui connaît un succès phénoménal. La population pourra la rencontrer, avec son mari Victor, mercredi 9 novembre lors du passage du camion du Parcours de la Réforme en ville de Neuchâtel. Interview.