Res Peter est pasteur à Zurich. Mais à quelques semaines de la votation sur la RIE III, l’homme d’Eglise pourrait aisément passer pour un expert en fiscalité. Dans son bureau de paroisse, l’énergique religieux énumère une multitude de données et de chiffres visant à prouver son fait: la troisième réforme sur l’imposition des entreprises est un projet non éthique qui se fera sur le dos des plus démunis. «Zwingli aurait voté contre, c’est certain!»
Plus de 350 membres et proches de l’Eglise, issus principalement des rangs réformés alémaniques, pensent de même. Ils ont rejoint, à titre personnel, le comité ecclésiastique contre la RIE III, lancé en décembre par Res Peter et le pasteur bernois Andreas Nufer. Une contestation remarquée: il est rare de voir des ecclésiastiques s’engager lors d’une votation nationale, qui plus est sur un thème fiscal.
Trou dans les finances
Comme les opposants politiques au texte – le PS et Les Verts –, ils fustigent les déductions fiscales accordées aux entreprises et redoutent que la baisse des recettes qui en découlerait ne mette en péril les prestations publiques. Un point supplémentaire explique aussi la fronde: la crainte qu’une diminution des rentrées fiscales ne creuse un trou dans les caisses paroissiales qui bénéficient d’un impôt ecclésiastique. Une majorité de cantons, principalement outre-Sarine, effectuent un tel prélèvement auprès des personnes morales. Tous ne seraient pas affectés de la même manière par la RIE III: le taux d’imposition diffère selon les régions, tout comme la part que représentent les revenus issus de l’impôt ecclésiastique pour les finances des Eglises.
De vives inquiétudes émanent de Soleure, de Berne et, surtout, de Zurich. Sur les bords de la Limmat, l’Eglise réformée chiffre le manque à gagner à 16 millions. Côté catholique, on craint de voir s’envoler 17,5 millions. A ce stade, le gouvernement zurichois dit son refus de compenser ces pertes. «Nous n’avons même pas reçu des miettes! Si la RIE III passe, nous devrons réduire nos activités à but social», s’alarme Res Peter.
«Ce n’est pas le rôle de membres de l’Eglise de s’engager sur le terrain politique, encore moins au niveau national et sur un sujet fiscal»
Ce n’est pas la première fois que le pasteur s’engage dans une votation. Il a notamment milité pour l’introduction d’un revenu de base inconditionnel. A Zurich, certains apprécieraient moyennement son nouveau combat, au dire du religieux. «Nous ressentons une certaine pression de la part des milieux économiques. Certains nous ont fait comprendre que si on poursuivait notre action, ils remettraient en cause la contribution financière que nous verse l’Etat. En revanche, si nous nous taisions, ils s’engageaient à essayer d’obtenir en notre faveur des compensations.»
Directrice de la Chambre de commerce zurichoise, la conseillère nationale PLR Regine Sauter nie toute pression de la part de ses services. «Nous avons discuté avec des membres du comité ecclésiastique et présenté nos arguments. La manière dont cela a été perçu montre qu’ils ne comprennent pas comment fonctionne le débat.» Selon l’élue, ce n’est pas leur rôle de s’engager sur le terrain politique, encore moins au niveau national et sur un sujet fiscal.
Responsable des Finances pour le Conseil de l’Eglise réformée zurichoise, Katharina Kull-Benz insiste: les religieux frondeurs combattent la RIE III à titre personnel. Ni l’Eglise réformée ni l’Eglise catholique zurichoise n’ont pris position ou émis de recommandation de vote. Dans un document œcuménique publié le 16 janvier, elles disent toutefois leurs craintes pour la cohésion sociale. «Nous avons identifié les problèmes liés à la RIE III. Mais nous n’avons pas à nous prononcer sur une question politique», affirme Katharina Kull-Benz. Celle qui est aussi membre du Grand Conseil et présidente de la commune de Zollikon, sous les couleurs du PLR, rappelle que l’Eglise accueille des fidèles de tous bords politiques et que les avis sur la réforme divergent.
Du côté des Eglises réformées et catholiques nationales, on reste aussi en retrait. «Nous ne pouvons pas prendre position, les situations diffèrent beaucoup trop selon les cantons. Et, à mon avis, les enjeux de la réforme se situent surtout au niveau de l’Etat, et pas de l’Eglise», dit Daniel Kosch, secrétaire général de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse. Dans un courrier envoyé à ses membres, cette dernière ajoute qu’une prise de position de l’Eglise pourrait être dommageable à sa réputation, en étant «perçue comme une tentative de préserver ses ressources financières».
Res Peter réfute fermement vouloir défendre la seule santé de ses finances. «Les entreprises se doivent de contribuer au bien commun. C’est la justice sociale qui est en jeu. Nous devons la défendre.» (24 heures)
(Créé: 23.01.2017, 06h50)