Repères
Deux ouvrages pour approfondir le thème de la conversion pastorale :
– Manuel de survie pour les paroisses, par le Père James Mallon, Artège, 2016, 314 p., 19,90 €.
– Paroisses, réveillez-vous ! Au défi de la nouvelle évangélisation, par Mgr Dominique Rey, Éd. de l’Emmanuel, 2012, 278 p., 18 €.
Ils officient dans diverses régions de France, sont de tous âges et de toutes sensibilités, membres de communautés religieuses ou prêtres diocésains. S’ils ont choisi de consacrer dix jours de leur année à se former avec des coachs professionnels, c’est pour participer à l’accomplissement de la promesse de Dieu à son peuple : « Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur : ils vous conduiront avec savoir et intelligence » (Jr 3, 15). C’est aussi parce qu’ils croient que face à la désertion de leurs clochers, leur ministère ne doit pas consister à « gérer la faillite de l’Église », mais bien plutôt à œuvrer pour sa croissance. « Nous pensons que même des paroisses à moitié mortes peuvent revivre, dans la mesure où chacun de ses membres devient disciple et missionnaire du Christ », lance Olivier Pelleau, fondateur de Talenthéo, pour décrire ce qui l’anime. Lieu béni pour se mettre à l’écoute du cœur de Jésus, les locaux attenants à la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre accueillent pour la troisième fois les quatre-vingts prêtres qui suivent l’édition 2016-2017 du parcours parisien.
Répartie en quatre sessions de deux jours et un week-end avec les membres de leurs équipes pastorales respectives, cette formation unique en son genre accompagne les prêtres dans l’aspect de leur ministère le plus méconnu : le munus regendi, ou « fonction de gouvernement » pastoral. « Contrairement aux fonctions de sanctification et d’enseignement des fidèles, celle de gouvernement est peu approfondie dans les séminaires, parce que les séminaristes n’y sont pas encore confrontés, explique Olivier. Elle peut cependant être développée dans le cadre de la formation continue, une fois qu’ils sont en responsabilité. » Pour le Père Tanneguy Viellard, jeune vicaire de la paroisse d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), le parcours est en effet « tombé à pic, après deux ou trois ans de vie paroissiale », alors qu’il commençait à « se rendre compte des difficultés et des enjeux » propres à sa mission de pasteur. Confrontés à des situations pastorales très diverses – certains de ces prêtres sont envoyés par leur évêque mais la plupart viennent de leur plein gré –, c’est le souci missionnaire qui les motive et les réunit. Un élan qu’ils peinent parfois à traduire concrètement dans leur paroisse, ou laissent enfoui sous la multitude des soucis matériels ou relationnels.
Vivre une « conversion pastorale »
Face à ces difficultés, « Des pasteurs selon mon cœur » invite les participants à vivre une véritable « conversion pastorale ». Ce terme, emprunté au document d’Aparecida – publié à l’issue de la Conférence générale de l’épiscopat d’Amérique latine en 2007 –, et utilisé par le pape François dans son exhortation apostolique Evangelii gaudium, recouvre toute une série de conversions à opérer au sein des communautés paroissiales. « Il s’agit par exemple de passer d’une logique de juxtaposition d’activités, à la mise en place d’un processus de conversion et de maturation pour toute la communauté et pour chacun de ses membres », expliquent les organisateurs.
Ainsi, à Châlons-en-Champagne, le Père Thierry de Marsac, qui a suivi le parcours il y a deux ans et demi, propose désormais aux couples qui préparent le baptême de leur enfant de suivre dans un second temps un parcours Alpha, pour découvrir la foi chrétienne dans une atmosphère fraternelle. Et cela porte ses fruits : « Je pense à Bruno et Valentine qui, grâce à ce parcours, cheminent désormais vers la préparation au sacrement du mariage, témoigne-t-il. Ensuite, nous pourrons leur proposer de recevoir le sacrement de la confirmation, puis de faire partie d’une fraternité paroissiale. » De cette façon, la paroisse passe peu à peu d’un simple lieu de « consommation » des sacrements à un contexte porteur pour la croissance des personnes. « Lorsque des gens frappent à la porte de l’église pour un baptême ou une préparation au mariage, c’est vrai que l’on est parfois irresponsable de leur donner trop peu de nourriture spirituelle », regrette le Père Guy Rougerie, vicaire général du diocèse d’Angoulême, qui participe au parcours avec enthousiasme.
Mais pour qu’un tel processus puisse se mettre en place, impossible pour le prêtre de ne compter que sur lui-même. Les formateurs les invitent alors à susciter, nourrir et responsabiliser autour d’eux des laïcs sur qui ils pourront s’appuyer pour annoncer le Christ dans les différents services de la paroisse. Une collaboration renouvelée entre clercs et laïcs dont les prêtres font déjà l’expérience en se laissant enseigner par eux durant le parcours. « Maintenant que vous me le dites, c’est vrai qu’il y a une sorte de paradoxe de voir des curés et des vicaires généraux qui ont l’habitude d’être leaders se mettre à l’écoute des laïcs », lance le Père Thomas Magimel, recteur de la cathédrale de Périgueux. « Cependant, cela se fait très naturellement, puisqu’ils sont compétents et que tout se passe dans une ambiance très fraternelle. » « C’était même très réconfortant et cela nous a tous mis dans une grande action de grâce », se souvient le Père Tanneguy Viellard, qui a suivi le parcours en 2015-2016. « Pour moi, cela correspond bien à l’esprit de Vatican II, qui encourage les laïcs à mettre leurs compétences propres au service de l’Église. »
Une grande fraternité sacerdotale
Au cours de chaque rencontre, des enseignements sont donc délivrés par les formateurs laïcs, tous bénévoles. Puis sont proposés des temps d’appropriation en équipes : les participants réfléchissent aux implications pratiques des interventions et se prêtent à différents jeux de rôles. Des séances de « codéveloppement » leur permettent également de s’entraider sur un point précis de leur ministère, au sein d’un groupe de six à huit prêtres accompagnés de l’un des coachs. C’est là, particulièrement, qu’ils font l’expérience d’une grande fraternité sacerdotale, abondamment citée comme le premier fruit de la formation : « Ouvrir son cœur avec authenticité, puis se mettre à l’écoute pour proposer son soutien, est souvent pour eux un véritable encouragement », assure Olivier.
À chaque session, des temps de détente mais aussi de prière les uns pour les autres permettent d’approfondir ces liens entre des prêtres d’origines géographique et ecclésiale très diverses. « Nous manquons d’occasions pour nous rencontrer entre prêtres et pour réfléchir ensemble », assure le Père Thomas Magimel. « Bien sûr, on connaît tous le risque de la “réunionite”, mais les rencontres où l’on prend le temps d’analyser, de chercher des outils positifs de réflexion et de progression pour nos paroisses, sont très rares… »
Pour le président de Talenthéo, qui accompagne de nombreux prêtres depuis une dizaine d’années, « il y a souvent chez eux une forme de pudeur qui les empêche de partager leurs expériences pastorales avec leurs confrères. C’est comme une règle tacite : chacun fait ce qu’il peut et l’on n’interfère pas dans les choix des uns et des autres ». Dans ce contexte, la méthode du codéveloppement fait largement ses preuves : « Ce n’est pas toujours très agréable au premier abord, car on peut se faire bousculer dans nos habitudes », témoigne le Père Laurent Bonhomme, vicaire général du diocèse de Montauban, qui a suivi le parcours il y a deux ans. « Mais puisque c’est toujours fait avec une grande délicatesse de la part de chacun, cela nous oblige à nous remettre en question et nous fait beaucoup avancer. » Se remettre en question, ces prêtres savent bien le faire. C’est même ce qui frappe et édifie le plus.
Appeler les laïcs à servir : oui, mais comment ?
Après la messe et l’incontournable café matinal, tous les participants écoutent attentivement l’intervention de Nicolas Mathieu, qui ouvre la seconde journée de la session. « Appeler quelqu’un à servir l’Église est le plus beau cadeau que vous puissiez lui faire. Mais cela ne se fait pas de n’importe quelle façon », lance-t-il en écho au thème du jour : « Susciter et former d’autres leaders autour de soi ». « Ne raisonnez pas à sa place. Interrogez-le sur ses désirs, puis tentez de déterminer ensemble à quelle place il sera source de croissance pour la communauté et assure-ra aussi sa propre maturation spirituelle », explique-t-il, anecdotes à l’appui. « Pour réfléchir en termes de désir de la personne, il faut pouvoir développer une relation personnelle avec elle, comme l’a fait le Christ en déjeunant, parlant, marchant avec ses disciples. » Toujours bienveillant, il poursuit : « Plusieurs éléments peuvent freiner l’engagement des laïcs dans l’Église : le flou initial de la mission, le manque d’organisation connu dans la paroisse, la peur de donner le petit doigt puis le bras tout entier. »
Pour faire passer son message, le coach n’hésite pas à utiliser l’humour et à décrire habilement quelques situations ubuesques que l’on rencontre parfois dans l’Église : le bénévole à qui l’on demande d’animer un groupe de caté sans même savoir s’il en a les compétences et la formation, ou celui qui s’accroche au même poste dans l’Église depuis trente ans comme à son bien le plus précieux. Son discours semble rejoindre directement l’expérience de ces prêtres : ils prennent des notes, opinent du chef, puis échangent entre eux à bâtons rompus.
« Je veux saluer ici l’humilité et la disposition au changement du clergé français », tient à souligner Florence de Leyritz, fondatrice des parcours Alpha, qui se réjouit des fruits de ces sessions. « C’est moins facile dans d’autres pays », assure-t-elle, forte d’une longue expérience d’évangélisation à travers le monde. Lors du Synode sur la nouvelle évangélisation initié par Benoît XVI en 2012, elle et son époux Marc faisaient même partie de la liste très restreinte des laïcs invités.
« Rechercher une croissance harmonieuse »
Boostés par la formation, « beaucoup osent se lancer dans l’évangélisation directe et découvrent comment leur architecture paroissiale peut être tournée vers l’extérieur, tout en nourrissant ses membres fidèles », continue-t-elle. Si certains participants poursuivent la collaboration avec un coach à l’issue des huit jours, les organisateurs réfléchissent désormais à la façon de mieux accompagner les prêtres dans la traduction concrète de la formation. Dans un premier temps, le week-end organisé avec leurs équipes pastorales permet déjà d’investir les proches collaborateurs du curé dans l’élaboration d’une vision à long terme et dans les réflexions sur les moyens à mettre en œuvre pour la conversion pastorale. Une restitution à toute la paroisse est parfois réalisée par les participants.
« Ce parcours n’a pas fait de nous des managers ou des politiciens, conclut le Père Bonhomme. Il nous aide à être d’authentiques pasteurs, qui impulsent un esprit missionnaire et permettent à leurs paroissiens de donner le meilleur d’eux-mêmes, de façon intelligente et sous le regard de Dieu. » Il poursuit : « Parmi les nombreux éléments que je retiens comme vicaire général, il y a la conscience qu’un corps qui ne grandit pas est un corps malade. Nous devons alors rechercher une croissance harmonieuse, qui ne soit pas simplement en termes de chiffres mais aussi de façon qualitative. » Pour son diocèse du Tarn-et-Garonne, comme dans d’autres, « Des pasteurs selon mon cœur » a même été l’inspiration principale des dernières orientations diocésaines, travaillées par tous les acteurs pastoraux début 2016.
Fort de ce succès, le parcours a déjà été étendu aux évêques, et sera bientôt proposé aux abbés et abbesses : souvent élus à vie dans une fonction de gouvernement, ils sont déjà une quinzaine à être intéressés par le projet.
Des sessions pour les évêques
Du 6 au 9 février, quatorze évêques ont suivi le parcours « Des pasteurs selon mon cœur » à Viviers (Ardèche). Issus pour la plupart de la province de Lyon – ce sont eux qui ont fait appel aux associations organisatrices –, ils ont cependant été rejoints par d’autres évêques, de Strasbourg, de Bordeaux ou encore de Dax. Quelques mois plus tôt, un parcours similaire, adapté aux enjeux de l’épiscopat, avait déjà réuni dix-huit évêques. Durant ces trois jours, ils se sont penchés sur la conversion pastorale à l’échelle d’un diocèse. Leur prochaine session sera axée sur l’attitude paternelle de l’évêque envers ses prêtres et l’art de tenir la juste proximité avec eux dans le suivi pastoral. D’autres évêques, qui n’ont pas toujours assisté auparavant au parcours, ont par ailleurs fait appel aux organisateurs pour des sessions diocésaines dédiées à leur presbyterium, comme fin janvier pour le diocèse de Luçon ou début février à Orléans et en Auvergne.
Un foisonnement d’initiatives qui s’étend au-delà des frontières de la France : quelques évêques étrangers s’y intéressent de près, et des parcours devraient naître bientôt en Belgique et en Suisse. Enfin, il y a quelques semaines, les organisateurs du parcours ont même animé une session en anglais pour les supérieurs des congrégations missionnaires d’Asie, à Hong Kong.
B. P.