« Malgré quelques voix ultraconservatrices qui se sont élevées contre ma consécration, je crois sincèrement que si je vivais à l’époque même du Christ, il aurait béni cette étape », assure Rola Sleiman. Jeans bleu, chemise bleue et pull beige, Rola Sleiman, 42 ans, est la première femme consacrée pasteur du Moyen-Orient.
Confortablement installée dans le salon de sa maison à Mejdlaya, dans le caza de Zghorta, elle évoque le sentiment de paix intérieure qu’elle ressent et qui se reflète dans son regard bleu limpide. Sa vie n’a pas vraiment changé. « C’est un parcours, un fleuve qui continue à couler », dit-elle à L’Orient-Le Jour avec un léger sourire sur le visage. « Je n’avais jamais imaginé devenir ce que je suis aujourd’hui », avoue encore la femme de religion.
C’est dans l’église évangélique de Tripoli, ville où elle est née en 1975, que la cérémonie de consécration de Rola Sleiman a eu lieu. Dimanche dernier, la femme pasteur était entourée de ses proches, des membres de sa paroisse et d’autres de la communauté évangélique du Liban, lorsque le sermon de sa consécration a été prononcé. « Aujourd’hui, nous ne célébrons pas votre consécration. Nous sommes là pour couronner votre parcours de fidèle servante de Dieu, pour que vous soyez sur un pied d’égalité avec vos collègues pasteurs dans le service de la Parole, des deux sacrements et de l’ensemble des droits et des devoirs », a déclaré le pasteur Joseph Kassab, secrétaire général du Synode évangélique national de Syrie et du Liban, à l’adresse d’un public ému. « Il s’agit en effet d’un acte d’amour et de justice. L’Église de Tripoli a été la première de tout le Moyen-Orient à réclamer la consécration d’une femme pasteur, et à mettre à exécution cette consécration. L’histoire sera marquée par cet événement », a-t-il poursuivi d’un ton solennel.
La recherche d’une raison d’être
Lorsqu’elle avait quatorze ou quinze ans, Rola s’est posé la question suivante : « La vie n’aurait-elle pas une dimension encore plus importante que celle qui nous est présentée à première vue ? » La réponse à cette question lui est venue progressivement. « Je n’étais pas née femme, au Liban, ou à Tripoli en particulier, arbitrairement », affirme Rola avant de poursuivre : « J’ai toujours eu le sentiment d’être vivante, sur cette terre, pour accomplir une certaine mission. » « Il fallait faire une différence à travers les petites choses : des gestes d’amour, de la tolérance et du service continuel », explique-t-elle.
Après l’obtention du baccalauréat, elle se spécialise en théologie à l’École de théologie du Proche-Orient (NEST) à Beyrouth. Suite à son service de quatre ans dans la Békaa, Rola revient dans son église tripolitaine pour servir sa paroisse. « Pendant les huit années durant lesquelles j’ai géré la paroisse, j’étais pasteur sans en avoir le titre officiel, je faisais littéralement tout sauf la célébration des deux sacrements », raconte la jeune femme. « Je pouvais célébrer le mariage ou les funérailles, mais il fallait que je sois accompagnée d’un pasteur homme », ajoute-t-elle. Dorénavant, elle pourra célébrer les deux sacrements, à savoir le baptême et la communion.
La femme au service de Dieu
À l’heure où l’obscurantisme se répand dans cette région du monde, où les femmes sont trop souvent opprimées au nom de la religion, la consécration de Rola Sleiman marque une étape nouvelle de l’histoire des églises moyen-orientales. « La responsabilité est énorme, d’autant que je dois tracer le chemin pour les autres femmes à suivre », affirme-t-elle. « Les conservateurs se sont prononcés contre ma consécration, mais en ce qui me concerne, je suis en paix dans ma relation verticale avec Dieu », explique Rola.
La Vierge Marie, la Samaritaine, la Cananéenne ou encore Marie Madeleine… Quand Rola évoque ces femmes, le bleu de ses yeux devient plus vif. « Le Christ était accompagné de femmes dans chaque étape de son parcours. Il a non seulement plaidé pour l’émancipation des femmes, mais il a vécu cela au quotidien, dit-elle avec joie. Le Christ est amour, et l’amour ne distingue point entre hommes et femmes, innocents et pécheurs, riches et pauvres. »
« Je regardais les visages de ceux qui ont assisté à la messe de ma consécration, et je voyais qu’ils étaient heureux, dans le sens du bonheur et de la tranquillité », dit encore Rola avant de conclure : « Et en ce moment de bonheur profond, je croyais sincèrement que tout ce monde devrait penser : Dieu est bon. »