Un mémorial doit être inauguré lundi 3 juin au Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire) en souvenir des Justes de cette commune et de ses environs qui ont accueilli des juifs durant la Seconde Guerre mondiale.
Patrick Cabanel (1), professeur d’histoire contemporaine à l’université Toulouse-Le Mirail, explique ce qui a poussé les habitants – très majoritairement protestants – à offrir cet accueil.
On dit que la dimension spirituelle protestante était très importante dans l’attitude des habitants du Chambon et du Plateau Vivarais-Lignon qui ont accueilli des juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Est-ce exact ?
Patrick Cabanel : C’est exact, mais la réalité historique était plus complexe. Les protestants français de cette époque étaient à la fois des chrétiens et des huguenots. Comme chrétiens protestants, ils appartenaient aux composantes calviniste (réformée) ou darbyste (2). Ils étaient très familiers de l’Ancien Testament et de l’histoire du « peuple de Dieu ».
En outre, leurs pasteurs étaient marqués, depuis vingt ou quarante ans, par diverses sensibilités politico-religieuses : le christianisme social, le barthisme (3), la non-violence. Des sensibilités qui, en dépit de leurs différences – voire différends – considérables, ont toutes refusé la mainmise de l’État, surtout vichyssois ou nazi, sur les consciences.
Comme huguenots, ces hommes et femmes étaient porteurs d’une mémoire très particulière, celle des persécutions, de la solitude minoritaire face à l’État, du malheur, de la fidélité, du « Désert » (un mot précisément emprunté à l’Ancien Testament) et ils regardaient les juifs, au moins depuis l’affaire Dreyfus, avec une sympathie quasi fraternelle, que les autres Français, non protestants, ne pouvaient avoir, au moins dans ces termes.
La pratique religieuse de cette communauté protestante était-elle intense ?
P. C. : Il entre dans l’attitude des protestants français de l’époque à la fois des raisons religieuses et d’autres sociologiques, mémorielles, culturelles (l’aspect huguenot). Il n’était pas nécessaire pour un protestant du Chambon, dans les années 1940, d’être profondément religieux pour écouter l’enseignement du pasteur et aider des juifs. Les darbystes ont agi à partir d’une foi et une pratique intenses. Les calvinistes (réformés) ont pu faire de même pour certains, mais, pour d’autres, c’était un mélange d’enracinement religieux et de culture de la résistance minoritaire issue du siècle de Louis XIV.
Quel rôle les pasteurs tiennent-ils auprès des paroissiens ?
P. C. : Le monde protestant n’accorde pas à ses pasteurs la même importance hiérarchique que le monde catholique pouvait le faire, à l’époque, pour ses prêtres. Néanmoins, les pasteurs étaient des personnages importants dans le monde rural protestant. Ils étaient des leaders spirituels, mais aussi moraux et même politiques. Ce rôle était renforcé par celui de leur épouse, laquelle avait une série d’occupations paroissiales.
Partout, au cours des années 1940, les pasteurs ont été des éclaireurs, des conseillers, des mobilisateurs. La résistance civile les a toujours concernés. Le plus souvent même, elle a débuté par eux, qu’il s’agisse de sermons explicites ou de gestes plus discrets (visites, recommandations, placements de réfugiés …).
Les catholiques du Plateau se sont-ils montrés également très accueillants pour les juifs ?
P. C. : Dans les deux communes du Plateau (Le Chambon et Mazet) où s’est déroulé l’essentiel de l’accueil des juifs, les protestants étaient très largement majoritaires : de l’ordre de 80 à 90 %, taux évidemment exceptionnels en France.
La petite minorité catholique a pu être concernée. Mais il est clair que le tissu d’accueil était celui du monde protestant, dans une ambiance religieuse et culturelle marquée. Et il semble que les catholiques, sur place, n’ont pas eu d’attitude particulière, ni dans un sens ni dans l’autre.