Elles sont pasteures, évêques ou laïques exerçant des responsabilités cruciales au sein des Églises. Comment vivent-elles leur ministère ?
Le synode national de l’Église protestante unie de France, réuni à Lille du 25 au 28 mai, élira peut-être sa première femme présidente en la personne de la pasteure Emmanuelle Seyboldt. L’occasion de se pencher sur le vécu particulier des femmes en position de responsabilités au sein des Églises protestantes françaises, toutes confessions confondues, pasteures ou non.
Ruth Wolff-Bonsirven, inspectrice ecclésiastique (équivalent d’évêque) de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UÉPAL), plante le décor : « Nous sortons de plusieurs millénaires de patriarcat. Les Églises et tous les monothéismes se sont appuyés sur un ordre dit “naturel” où les femmes sont d’essence inférieure, assignées à certaines tâches. Il est si difficile de sortir de cette posture qui nous plombe tant. »
Rachel Carlier, coordinatrice du réseau des départements du Conseil national des évangéliques de France (CNEF), fraîchement revenue d’un voyage à Florence en Italie, l’a bien constaté. « Les représentations féminines dans l’art religieux sont tellement stéréotypées, on en porte encore tout le poids aujourd’hui. La Vierge Marie est représentée avec son enfant, comme un idéal à atteindre. Ève a systématiquement le serpent à ses pieds. Marie-Madeleine, la prostituée, femme séductrice, montre sa chevelure. Ou bien devient pénitente, toute ridée. »
Talents et dons
Cette protestante évangélique s’insurge contre ces « mauvaises interprétations de la Bible » qui présentent « la femme idéale s’occupant des enfants, les autres étant soit séductrices, soit pénitentes. C’est tellement réducteur : nous sommes aussi entrepreneuses, expertes-comptables, etc. », poursuit celle qui est une pionnière du leadership féminin dans les milieux évangéliques.
Au sein de l’UÉPAL, Ruth Wolff-Bonsirven s’est battue pour que le congé maternité soit inscrit dans les textes, et que les titres des postes occupés par des femmes soient féminisés – « inspectrice, pasteure, professeure, etc. ». Pour elle, il s’agissait d’obtenir une « reconnaissance langagière explicite » d’une « juste égalité et place des femmes dans la société ».
Elle signe ses courriers par l’expression « sororales salutations », plutôt que « fraternelles ». Le 23 octobre 2014, le tout nouveau président de l’UÉPAL, Christian Albecker, lui donne gain de cause en signant une note de service entérinant la féminisation des titres.
Pour autant, toutes les femmes en position de responsabilités dans les Églises protestantes françaises ne témoignent pas de difficultés particulières en raison de leur sexe.
Sophie Zentz-Amedro, pasteure, a été présidente de la région Cévennes-Languedoc-Roussillon de l’Église protestante unie pendant deux mandats. Elle n’a jamais rencontré d’opposition liée au fait qu’elle était une femme, « cela n’a jamais été une question ». Certes, il y a eu des tensions, mais pas liées à son sexe.
Nicole Deheuvels, pasteure et conseillère conjugale à la Fondation La Cause, directrice du département solos/duos, raconte : « Quand je fréquente des amis de différents milieux catholiques, je mesure le privilège que j’ai d’exercer mon ministère sans aucune limitation liée à mon genre ou à ma féminité. Cela nous vient de la Réforme, de sa différence conceptuelle du ministère et du sacerdoce universel. C’est une chance pour les femmes, mais surtout pour l’Église. »
Christiane Enamé, vice-présidente de la Fédération protestante de France, appelée parce qu’elle était femme, laïque et africaine, renchérit : « Nous naissons tous et toutes avec des talents et des dons que le Seigneur nous a donnés et sur lesquels nous travaillons. Il faut en faire bénéficier les autres, avec bienveillance et écoute. Je crois profondément que nous sommes complémentaires. »
S’il est bien un sujet qui met toutes nos interlocutrices en difficulté, c’est celui de la « différence » femmes/hommes, ou de la « spécificité féminine ». Toutes s’accordent à dire qu’il faut une « complémentarité » et une « parité », mais les femmes ont-elles vraiment une approche spécifiquement féminine de leur ministère ? « Je n’en sais rien, je n’ai jamais été dans la peau d’un homme », répond avec humour la pasteure Claire Sixt-Gateuille, responsable des relations internationales de l’ÉPUdF. Pour Ruth Wolff-Bonsirven, « peut-être que ce qui nous différencie est si minime que nous faisons des catégories là où Dieu n’en voit pas ». De nombreuses consœurs ne sont pas d’accord.
Rapport au pouvoir
Patricia Rohner-Hégé, vice-présidente laïque de l’UÉPAL, appelée à ce ministère parce qu’elle est une femme, estime que « le rapport au pouvoir » est différent selon les sexes.
Pour Nicole Deheuvels, « en général, les femmes placent moins leur vanité dans les titres que leur honneur dans le succès et l’efficacité sur le terrain de leurs entreprises et convictions. Pour arriver à certaines fonctions, il faut y mettre une certaine énergie, comme l’élection présidentielle l’a montré. Les femmes préfèrent mettre leur énergie ailleurs ! ».
Sophie Zentz-Amedro s’interroge. « Peut-être les femmes ont-elles une certaine capacité à gérer plusieurs choses en même temps. À se remettre plus facilement en question, à avouer plus facilement leurs erreurs, à y mettre moins d’ego. Mais je ne veux pas généraliser. »
Patricia Rohner-Hégé est « attentive à garder un rapport plus concret au terrain, pour ne pas être déconnectée de la joie et des souffrances de ce qui se vit dans les paroisses », dans un contexte où « il est facile d’être enfermé dans sa tour d’ivoire en passant d’une réunion à une autre ».
Tâches ménagères
Face à la tentation tout humaine, qui « n’épargne pas les femmes », de « prendre le pouvoir sur les autres », une femme serait néanmoins « plus tournée vers l’écoute et la relation », mais Patricia Rohner-Hégé nuance immédiatement sa pensée et se retrouve dans l’affirmation de Sophie Zentz-Amedro : « Il y a des femmes plus raides et des hommes plus “arrondissants”. Cela dépend des tempéraments. »
La question est peut-être un peu faussée, de façon positive, dans les milieux d’Église, où le ministère de pasteur nécessite une grande dose de « féminité » pour l’écoute et l’accompagnement.
Pour Claire Sixt-Gateuille, « tous mes collègues hommes ont beaucoup d’attention à l’autre ». Pour elle, Dieu ayant créé l’humain à son image, homme et femme, on peut voir en Lui à la fois le masculin et le féminin, « un vieil homme barbu ou celui qui a des entrailles ».
Quand une femme accède à des responsabilités, la question des enfants et des tâches ménagères se pose. Patricia Rohner-Hégé estime qu’elle n’aurait pas pu devenir vice-présidente de l’UÉPAL à 30 ou 40 ans. « J’ai élevé six enfants ; quand ils ne sont plus à la maison, ça libère du temps. Aujourd’hui, si le frigo est vide, ce n’est pas grave. » Elle rend hommage à son mari qui s’implique beaucoup dans les tâches quotidiennes et qui, grâce à sa profession de musicien, « s’est organisé pour avoir de la souplesse dans sa vie privée ».
Sophie Zentz-Amedro a un temps hésité à devenir présidente de région pour rester disponible pour ses enfants adolescents. Mais elle précise : « Celui qui a pris ma suite s’est posé les mêmes questions ! Les hommes aussi s’en préoccupent. »
Quand Claire Sixt-Gateuille a été approchée pour rejoindre l’équipe nationale de l’ÉPUdF, elle a d’emblée annoncé la couleur : elle voulait un deuxième enfant. Ça n’a pas posé de problème. Mais elle se demande « comment être à 100 % disponible pour ma famille et 100 % pour mon ministère ? ».
Sa solution a été d’opter pour un poste qui ne la garde pas éloignée de son domicile plusieurs soirs par semaine, comme c’est souvent le cas des pasteurs de paroisse, mais plutôt d’accepter de s’absenter plusieurs jours consécutifs pour un déplacement à l’étranger, et de confier ses enfants à sa belle-famille.
Pour Valérie Duval-Poujol, théologienne baptiste, « nous sommes la génération qui ne veut rien lâcher, ni l’engagement, ni la carrière, ni la famille. Tout est à inventer ».
À noter
L’émission Place des protestants dimanche 11 juin sera consacrée à l’égalité femmes / hommes.
Diffusion sur France 2, de 10 h à 10 h 30, puis en « replay » sur france.tv
À lire
Paul et les femmes
Roland Meyer
éd. Vie et Santé
130 p., 9 €.
Légende des photos :
En haut, de gauche à droite: Valérie Duval-Poujol, Ruth Wolff-Bonsirven, Claire Sixt-Gateuille, Patricia Rohner-Hégé, Sophie Zentz-Amedro, Noro Andrianalizah
En bas, de gauche à droite : Joëlle Sutter-Razanajohary, Nicole Deheuvels, Christiane Enamé, Rachel Carlier.